Mardi 23 mars, une opération de police avait lieu en France et plus particulièrement à Marseille, contre des militants kurdes en lutte contre le régime Erdogan. Des perquisitions au local du Centre démocratique kurde de Marseille et au domicile de militants kurdes, se sont soldées par l’arrestation de huit d’entre eux. Dans le même temps, trois autres militants étaient interpellés en Île-de-France et un à Draguignan. Entretien avec Salih Azad, responsable du Centre démocratique kurde de Marseille.
Peux-tu nous donner des précisions sur cette opération de police et nous dire comment vous interprétez cette action du gouvernement français ?
Les militants kurdes interpellés ont été placés en garde à vue dans le cadre de participation à une « association de malfaiteurs en lien avec une organisation terroriste » et présentés au juge d’instruction de Paris. À ce jour (samedi 27 mars), trois ont été libérés et mis sous contrôle judiciaire. Les autres sont toujours écroués.
Il faut préciser qu’aucune preuve de leurs prétendues « activités terroristes » n’a bien sûr été apportée, et que la seule chose qu’on semble leur reprocher est leur militantisme kurde et leur dénonciation du régime d’Ankara et son implication militaire, financière et politique dans le soutien à Daech.
Notre action dérange le gouvernement français, parce que le régime d’Erdogan marchande ses relations avec l’Union européenne.
Ça fait quelques mois que des tensions se font jour entre l’UE et la Turquie au sujet de la Méditerranée orientale et la Libye… Beaucoup de djihadistes y ont été envoyés sous les ordres du régime turc.
Pour obtenir un rappel de ces djiadistes, il a fallu donner des contreparties à Erdogan, qui exigeait notamment une opération de police de la part de la France contre ses opposants kurdes.
Dans cette affaire, la police s’est appuyée une fois encore sur la qualification du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) comme organisation terroriste. Comment répondre à ça ?
La Cour européenne de justice, par un arrêté de novembre 2020, a estimé que rien ne motivait l’inscription du PKK sur la liste des organisations terroristes. Parallèlement, en Belgique, la Cour de cassation est allée dans le même sens.
Ce que nous demandons est que l’UE et les États qui en sont membres respectent cette décision de leurs propres juridictions ! Le PKK est une organisation de résistance à l’oppression et non pas « terroriste ». Ce sont ceux contre lesquels il se bat qui sont les terroristes. Nous soutenons la campagne du CSK 13 (Collectif Solidarité Kurdistan 13) : « PKK = résistants, pas terroristes ! »
Comment expliques-tu cette attitude de l’Union européenne ?
Le poids des relations économiques et stratégiques de l’UE avec la Turquie pèse très lourd. On ne se désolidarise pas comme ça d’un allié ! Et certains dans l’UE voient encore en Erdogan un rempart contre l’islamisme radical, ce en quoi ils commettent une grave erreur.
En France, le terme « résistants » est toujours chargé d’un contenu plutôt positif, et les nazis tenaient le même discours qu’Erdogan en les assimilant à des terroristes… Discours souvent partagé par les régimes oppresseurs…
Tout à fait. La campagne du CSK 13 exige le respect de l’arrêté de la Cour européenne de justice. Mais le combat des Kurdes gêne beaucoup les puissants car il est porteur de valeurs qui sont aussi les vôtres : socialisme, féminisme, internationalisme, démocratie, tolérance religieuse…
De plus les Kurdes sont parmi les très rares alliés de l’humanité progressiste dans cette région du monde… et au-delà. Le Kurdistan est entouré de régimes dictatoriaux et rétrogrades (Iran, Qatar, Arabie saoudite, Turquie…). Pour cela aussi, ils gênent beaucoup de monde.
Est-ce que, selon toi, cette répression policière (française) va avoir un effet sur la lutte du peuple kurde ?
Oui, je pense que cette affaire va donner un nouvel élan à la solidarité envers un peuple opprimé, qui a su tant donner dans son combat contre l’obscurantisme fasciste de Daech.
Depuis mardi, mon téléphone n’arrête pas de sonner pour m’apporter des témoignages de solidarité et d’encouragement pour notre lutte. Il est temps de renforcer cette prise de conscience qui ne peut qu’être bénéfique à notre cause qui est celle de tous les peuples opprimés.
Propos recueillis par Jean-Marie Battini