Les dernières élections ont consacré l’AKP qui bénéficie d’un soutien populaire malgré la politique de droite qu’il mène. Le Bloc pour le Travail, la Justice et la Démocratie qui regroupe les organisations kurdes et d’extrême gauche obtient 36 députés.
Les élections du 12 juin ont marqué l’approfondissement de la mainmise de l’AKP en Turquie (Parti de la Justice et du Développement, de droite). Ce parti, au pouvoir depuis 2002, a consolidé sa position avec 50 % des suffrages (+3,3) alors que l’opposition parlementaire kémaliste dite de « gauche », le CHP, obtient 25,9 % (+5,1) et l’opposition ultranationaliste du MHP recule à 13 % (-1,3). Enfin, les « indépendants », soutenus par le Bloc pour le Travail, la Liberté et la Démocratie, dont l’élément central est le mouvement kurde et qui se présentaient individuellement pour éviter le barrage de 10 % auquel sont soumises les listes des partis, ont obtenu 36 sièges. Cette mainmise s’est manifestée de manière dramatique sous sa forme autoritaire durant la campagne électorale. En effet, dans les communes où se sont tenues des manifestations contre la venue du Premier ministre, R.T. Erdogan, la répression policière a été terrible. Cela a particulièrement touché la population kurde et les communes où la gauche radicale est implantée tel que Hopa sur la mer Noire, où un manifestant est mort et, par la suite, le bourg mis en état de siège.
Cet épisode confirme l’autoritarisme croissant de l’AKP et toute manifestation peut désormais être assimilée à un soutien à « une organisation terroriste » (sans plus de précision).Cependant, il serait tout à fait abusif de réduire le pouvoir de l’AKP à sa capacité de coercition – réelle – et à l’ascendant pris sur la hiérarchie militaire (avec laquelle les divergences ne sont pas fondamentales). L’AKP n’est clairement pas un parti progressiste ni même le champion de la démocratie parlementaire, mais une organisation bourgeoise bénéficiant d’une importante clientèle populaire et capable de gérer ses réseaux de manière efficace à travers un maillage de branches, d’élus locaux, d’associations…
Il est essentiel de comprendre que l’AKP bénéficie d’un véritable soutien populaire même s’il défend un programme bourgeois, n’hésite pas à attaquer les quelques mobilisations ouvrières et détruit les restes des droits sociaux… Et cela parce qu’il est en mesure de mener une politique de redistribution du fait d’un développement économique basé sur l’exportation dont découle une accumulation du capital inédite. Ainsi, les exportations de la Turquie sont passées de 28 milliards de dollars en 2000 à 132 milliards en 2008. Elles sont désormais en grande partie issues du secteur industriel dont la part est passée de 10 à 92 % durant la même période avec l’émergence de nouvelles régions industrielles, notamment en Anatolie avec l’apparition de nombreuses PME et d’une bourgeoisie industrielle provinciale qui est la base la plus fidèle de l’AKP.
Dans cette situation, l’opposition la plus notable n’est pas constituée par les kémalistes, aux vagues considérations sociales, ou par les ultranationalistes mais par le Bloc. La composante principale en est le parti du mouvement kurde avec le soutien de petites organisations d’extrême gauche. Dans le marasme social en Turquie, la seule opposition de masse et structurée est le mouvement kurde quelles qu’en soient les contradictions. De fait, la gauche radicale a quelques députés mais cela n’est dû qu’à la volonté du mouvement kurde de les faire élire afin d’avoir des relais non kurdes dans la sphère politique. Ainsi, en l’absence de réactions sociales de masse dans le reste du pays, c’est bien le mouvement kurde qui imprime le rythme d’une opposition sociale et politique en avançant ses propres propositions : 1) Sur la forme de l’État : une assemblée constituante pour un État reconnaissant la pluralité nationale en Turquie ou bien l’acquisition par ses propres moyens (y compris militaires) d’une « autonomie démocratique ». 2) Sur la recomposition politique, en mettant en avant l’idée d’un « parti-toit » regroupant les « Kurdes, les socialistes, les écologistes, les féministes » pour reprendre les termes d’Abdullah Öcalan, fondateur de l’organisation politico-militaire kurde, le PKK, actuellement en prison et qui ouvre également la porte à des courants religieux.
Il s’agit probablement d’un enjeu pour le mouvement socialiste en Turquie : la nécessaire jonction avec le mouvement kurde doit-elle prendre la forme d’un supplément d’âme au sein d’une structure commune ? Dans tous les cas, il semble difficile pour le mouvement socialiste de construire en ayant l’illusion d’avoir une base sociale (alors que l’essentiel de celle-ci lui est ponctuellement fourni par le mouvement kurde) et en Turquie comme ailleurs, de se complaire dans la division et un certain folklore remplaçant des débats sérieux.
Suren