Publié le Lundi 7 novembre 2016 à 11h26.

La Turquie au bord de la dictature

L'arrestation et l'emprisonnement de Salahettin Demirtas et Fiden Yukesdag, coprésidents du HDP, ainsi que de 11 autres députés élus au Parlement turc, a suscité quelques réactions dans l'Union européenne et aux USA. Modérées, certes, on déplore, on regrette et on s'émeut mais personne ne condamne et surtout, tout le monde feint l'étonnement. Pourtant ce que le CHP (parti social-démocrate kémaliste) qualifie de « coup » anti-démocratique était attendu depuis plusieurs mois par les élus HDP eux mêmes.

Depuis les élections législatives de juin 2015, où Rajep Eyip Erdogan comptait obtenir une majorité des deux tiers qui lui aurait permis d'instaurer le régime présidentiel autoritaire dont il rêvait, le HDP était devenu l'ennemi à abattre. Avec ses 13,4% des voix et ses 80 députés, dont des élus militants LGBT, des Arméniens, les représentants des minorités ethniques de Turquie dont évidemment les Kurdes, le HDP avait infligé un échec personnel à Erdogan. L'impossibilité ou l'absence de volonté de trouver des solutions pour former un gouvernement avaient entraîné de nouvelles élections en novembre 2015. Entre temps l'AKP et les milices d'extrême droite avaient multiplié les attaques, incendies de sièges du HDP, agressions et meurtres de militants, pour susciter une réaction défensive du côté kurde et créer une ambiance d'insécurité dans le but d'effrayer les électeurs. Pari à demi réussi, puisque l'AKP a réussi à récupérer une majorité simple au Parlement, mais sans parvenir à éliminer le HDP qui a perdu des voix mais passé la barre des 10% et obtenu 59 députés.

Rajep Erdogan n'entend pas s'arrêter là. En mai 2016, il fait voter par le Parlement,qui lui est maintenant acquis, une loi levant l'immunité parlementaire des élus poursuivis en justice. Ce sont bien sûr les députés du HDP qui sont visés, mais la menace pèse sur tous les opposants à son projet.

Dans le même temps, il limoge Davotoglu, son premier ministre qui lui fait de l'ombre et s'impose comme chef unique à la fois de l'AKP et du gouvernement.

Le coup d’État avorté de juillet 2016 va être une véritable aubaine pour Erdogan. Son échec va lui permettre de faire porter la responsabilité sur Fettulah Gülen son ex-allié devenu un ennemi encombrant. Il entame une purge à grande échelle de toute la fonction publique, emprisonne et licencie les partisans de Gülen mais bien sûr aussi les militants de gauche et les syndicalistes par milliers. Juges, militaires, enseignants sont renvoyés. L'Europe, la « communauté internationale » ne bronche pas. Il destitue les maires élus de 28 villes kurdes en les remplaçant par des administrateurs. Toujours aucune réaction. La maire de Diyarbakir, capitale du Kurdistan de Turquie et son co-maire sont jetés en prison. Pas la moindre protestation européenne, seuls quelques maires français protestent.

Il va donc pouvoir tranquillement s'attaquer à une autre épine dans son pied, les médias indépendants, avec cette fois ci la collaboration du gouvernement français.

 

Museler les médias gênants

Le 31 octobre, il fait arrêter Murat Sabrunen, rédacteur en chef d'un journal très populaire, Cum Hurryet ainsi que 9 journalistes. Il n'avait jamais pardonné à Cum Hurryet d'avoir publié un article révélant un incident entre la police turque et un convoi pseudo humanitaire bourré d'armes destinées aux Jihadistes en Syrie, escorté par les services secrets turcs (MIT). Le rédacteur en chef, Can Dundar, personnellement menacé par Erdogan, finira par s'exiler en Allemagne après une tentative d'assassinat.

Dans la foulée, le gouvernement ordonne la fermeture d'une vingtaine de chaînes de TV et radio, dont IMC, le « CNN » kurde , très regardé en Turquie. Il fait fermer aussi Hayat TV , une chaîne indépendante, sans pub ni séries qui donnait la parole aux travailleurs et même Zarok Tv, une chaîne pour les petits diffusant des dessins animés... mais en Kurde ! Toutes ces chaînes étaient relayées par Turksat, pas de problème. Ce n'était pas le cas de Med Nuçe, chaîne d'infos en kurde émettant depuis Denderlew en Belgique. Alors Erdogan demande à l'Etat français d'ordonner à Eutelsat, dont il actionnaire majoritaire, de couper la chaîne. Pas de souci, Eutelsat obtempère. Un cadeau de Valls et Hollande au pays qui compte le plus grand nombre de journalistes emprisonnés, devant la Chine et l'Iran.

 

Erdogan cherche des alliés

Le président turc semble avoir définitivement tourné le dos à l'Europe et son discours du 29 octobre, promettant pour très bientôt le rétablissement de la peine de mort, en est une preuve. C'est aussi une manœuvre pour tenter de rallier le MHP, l'extrême droite kémaliste turque, très représentée au Parlement, qui fait campagne depuis longtemps à la fois pour l'emprisonnement des élus du HDP et pour le rétablissement de la peine de mort. Erdogan a besoin de leurs voix pour obtenir le référendum de ses rêves, celui qui lui donnera les pleins pouvoirs. Mais si le MHP serait ravi de voter pour la peine de mort et même celle des députés kurdes, ils sont beaucoup plus réservés à l'égard d'un président islamiste seul maître à bord.

Sur le plan international, Erdogan tente par tous les moyens de retrouver des alliés, après sa grande réconciliation avec Israël, il vient de signer un accord important avec Poutine sur un oléoduc qui acheminera le gaz russe vers l'Europe, sous la mer Noire. Mais en Irak, ses troupes sont forcées de rester à l'écart de Mossoul, bien que stationnées tout près. En Syrie, les US ne les laissent pas avancer au delà de Jarablous, alors que les FDS (coalition militaire entre les Kurdes des YPG, Arabes, Turkmènes et quelques brigades de rebelles syriens) annoncent le début de l'offensive sur Raqqa.

Si Erdogan semble avoir mis une chape de plomb sur la Turquie, sa position au niveau régional est très fragilisée et la gauche turque ne le laissera faire aboutir son projet.

La solidarité avec les élus et militants du HDP et avec toute la gauche turque victime des purges et de la répression est urgente.

Mireille Court