L’ex-maire de Riace (Calabre) Mimmo Lucano a été condamné à treize ans de prison en première instance pour association de malfaiteurs tournée vers l’aide à l’immigration clandestine et détournement de fonds publics.
Il devra rembourser 500 000 euros reçus de la part de l’UE et du gouvernement.
Plus que la sentence d’un tribunal, cette décision sonne comme un véritable acte de persécution politique et judiciaire qui vise, encore une fois, à criminaliser les activités d’accueil aux migrantEs et à semer la peur au sein des acteurs qui organisent la solidarité.
Le crime ? Avoir favorisé le mariage d’une jeune femme immigrée, encourant le risque d’expulsion, avec un homme âgé de son village.
Législation ubuesque
L’aide à l’immigration illégale est désormais devenu le chef d’accusation adressé à la fois aux organisations criminelles et aux initiatives humanitaires. L’ambiguïté est ici directement inscrite dans la loi Turco-Napolitano promulguée en 1998 (pendant le premier gouvernement de centre-gauche de Romano Prodi) puis modifiée quelques années après par les alliés berlusconiens d’extrême droite à travers la loi Bossi-Fini qui augmente les sanctions et en élargit l’application.
Le fait que le profit ne soit pas conçu comme un élément constitutif du crime, mais uniquement comme une circonstance aggravante, entretient une absurde confusion entre les acteurs humanitaires et les mafias car ce qui est ici criminalisé est l’aide des migrantEs à passer les frontières. Dès lors les opérations de secours en mer doivent constamment être prouvées. Le contexte humanitaire est donc réduit à une clause qui peut être reconnue ou pas à partir des circonstances. Les mises en examen d’acteurEs de ces sauvetages en merse comptent désormais par dizaines : cela a été notamment le cas pour Carola Rackete, pour qui les accusations avaient été démontées par la Cour de cassation.
Cette fois la situation est d’autant plus paradoxale. En Calabre, dans une terre gangrenée par la Ndrangheta (mafia calabraise), où l’accès à des besoins essentiels comme l’eau, la santé publique ou les infrastructures, n’est pas garanti, la condamnation de l’ex maire de Riace produit un rire amer. Celui-ci se transforme rapidement en indignation et colère, au moins pour tous ceux et toutes celles qui, dans le pays, ne tolèrent plus une telle barbarie et pensaient au moins pouvoir avoir confiance dans l’institution judiciaire.
Un modèle de solidarité dans le viseur
Lucano s’apprêtait à clôturer la campagne de la liste « Une autre Calabre est possible ». Dès la fin des années 1990, il s’était engagé dans le projet Riace qui avait bénéficié de l’aide de dizaines d’associations et d’une communauté anarchiste. Il créa ensuite Recosol, un réseau de communes solidaires qui soutenaient cette initiative d’accueil aux migrantEs. C’est précisément ce modèle collectif et solidaire, se heurtant à une gestion inhumaine des mouvements de populations, qui a été frappé, car il montre l’existence d’une alternative à la politique d’exclusion et d’expulsions des plus démunis.
Mais les idées font leur chemin, peu importe les obstacles qu’elles rencontrent. Le projet de Mimmo Lucano répond en effet également à la volonté de résistance des zones internes du Sud, abandonnées, sous-peuplées et de plus en plus exposées aux risques du changement climatique.
Pendant qu’en Italie on cible les acteurEs de la solidarité, les morts en Méditerranée ne s’arrêtent pas. Dans un récent communiqué, l’Organisation internationale pour les migrants (OIM) s’est dit « extrêmement préoccupée » par la forte augmentation du nombre de morts sur la route des Canaries. Mais toutes les morts ne se valent pas, ainsi que les êtres humains, certains d’entre eux étant plus égaux que les autres.