Publié le Mardi 29 juillet 2025 à 14h00.

L’Italie échoue à remporter ses référendums

Dave Kellaway rend compte depuis l’Italie des référendums organisés par la principale confédération syndicale et les partis officiels de l’opposition de centre gauche afin de limiter certaines des lois antisyndicales les plus répressives et d’améliorer le processus d’accès à la citoyenneté pour les immigrés.

Aucun des cinq référendums n’a été adopté, car ils n’ont pas atteint le quorum de 50 % des électeurs. Cependant, 88 % à 89 % des votants se sont prononcés en faveur des changements progressistes apportés au droit du travail, mais ce chiffre a chuté de 33 points pour la modification du processus d’accès à la citoyenneté pour les immigrés.

Au cours des trente dernières années, seul un référendum sur neuf a atteint le quorum, en 2011, pour défendre l’eau comme bien public et, même dans ce cas, le gouvernement a manœuvré pour ne pas mettre en œuvre le changement demandé par la gauche et une vaste campagne populaire. En tant que mécanisme démocratique de changement, le référendum a fonctionné efficacement pour légaliser le divorce et le droit à l’avortement dans les années 1970 et 1980, lorsque l’Italie était un pays différent, avec un taux de participation de plus de 90 % à de nombreuses élections.

Un pays plus individualisé

Je me souviens à quel point la société civile était différente, même dans une ville de 60 000 habitants dans le sud, près de Naples. Les sections locales du Parti communiste italien (PCI) étaient un lieu de rencontre non seulement pour les membres du parti, mais aussi pour tous ceux qui se situaient à gauche. À l’époque, la Piazza était encore politiquement très animée et les grandes usines bien organisées étaient plus nombreuses. Les acquis des années 1970 n’avaient pas été remis en cause et l’austérité néolibérale n’était pas encore à l’ordre du jour. 

Aujourd’hui, tout est plus individualisé et marchandisé. Les fêtes locales du PCI (ou de n’importe quel autre parti) ont pratiquement disparu. La culture ne bénéficie plus d’un budget important de la part des pouvoirs publics et n’est plus qu’un spectacle de consommation contrôlé par les grandes entreprises. En cherchant des photos d’affiches de la campagne référendaire pour cet article, je n’ai même pas réussi à en trouver facilement. La participation à toutes les élections a considérablement diminué. Les gens n’adhèrent plus aux partis politiques, aux syndicats ou même aux associations de la société civile comme ils le faisaient autrefois. La déconnexion avec le processus politique a contribué à la montée d’une politique populiste d’extrême droite, incarnée par le gouvernement actuel.

La coalition gouvernementale de Meloni se réjouit de la défaite des référendums. Les lois anti-ouvrières mises en œuvre par un précédent gouvernement de centre-gauche (dirigé par Matteo Renzi) seront maintenues. La Première ministre post-fasciste et son allié Salvini se réjouissent particulièrement du nombre beaucoup plus faible de personnes qui ont voté en faveur d’une obtention plus rapide de la citoyenneté pour les immigrés. Cela les encouragera à renforcer leurs politiques racistes et anti-migrants. Les représentants du capital se réjouissent que leur liberté d’exploiter les travailleurs se poursuive sans restriction supplémentaire.

Joies patronales

En regardant la couverture télévisée des résultats, un commentaire d’un soi-disant journaliste indépendant m’a frappé. Il a déclaré que ce résultat montre que toutes les anciennes confrontations dans les lieux de travail que la CGIL veut raviver avec ce référendum sont terminées, que nous devons aller de l’avant, nous concentrer sur les salaires et la productivité plutôt que sur toutes ces questions qui appartiennent à l’histoire. C’est le discours que veulent tenir le gouvernement et les patrons. Gardons la politique hors du lieu de travail, discutons-en comme d’une question technique, le peuple a montré qu’il n’était pas intéressé par la résurrection d’un discours dépassé sur la lutte des classes.

Le gouvernement a activement encouragé les gens à aller à la mer ou à se promener dans les montagnes plutôt que de participer au processus démocratique. Meloni elle-même a été montrée dans les médias se rendant à un bureau de vote et refusant de prendre un bulletin de vote. Légalement, c’est une tactique légitime et des gouvernements de différentes tendances politiques ont fait la même chose lorsque la droite a organisé des référendums. Cela reflète néanmoins un refus de s’engager dans toute discussion sur ces grandes questions liées au monde du travail. Interrogé à la télévision, un ministre n’a même pas été capable d’expliquer clairement l’objet des référendums.

Le gouvernement a dénoncé ces référendums comme une manœuvre visant à le défier et comme une lutte interne entre factions du PD (Partito Democratico, Parti démocrate). L’opposition de centre gauche a été accusée d’être dirigée par la principale confédération syndicale, la CGIL, qui entretient des liens étroits avec le principal parti d’opposition, le PD.

Landini, le dirigeant de la CGIL, était le principal promoteur du référendum. Il a mobilisé les structures syndicales pour recueillir un demi-million de signatures, puis a sillonné l’Italie ces derniers mois pour inciter les gens à voter. Le gouvernement et les forces de droite se bousculent pour utiliser ces résultats afin de le discréditer. Même s’il n’a pas réussi à mener une véritable grève nationale pour défendre le niveau de vie des travailleurs, ils veulent neutraliser la moindre possibilité qu’il puisse diriger les syndicats dans une confrontation avec le gouvernement sur les contrats salariaux en litige.

Conflit interne au parti Démocrate

Elly Schlein, la dirigeante du PD, a battu il y a deux ans son rival plus modéré et l’aile droite du parti pour consolider sa position. Elle s’est empressée de renier les pires politiques anti-ouvrières de l’ancien dirigeant du PD et Premier ministre Matteo Renzi. Ce dernier avait proposé et mis en œuvre le Jobs Act, une loi dite de modernisation qui était en réalité un accord de complaisance avec le capital néolibéral. Elle supprimait certaines des lois progressistes du travail qui offraient une protection limitée, même si dans la pratique, les patrons n’étaient pas particulièrement contraints. Les rifromisti – la minorité de droite du PD qui soutient toujours la position de Renzi – se sont opposés à la ligne du parti, qui préconisait 5 votes pour et 3 contre les modifications de la loi sur le travail. Bien que minoritaires au sein du parti, les riformisti comptent d’importants représentants élus. Par exemple, Picerino, vice-président du Parlement européen, a ouvertement fait campagne pour le « non ». Ainsi, d’une certaine manière, le référendum s’inscrivait également dans un débat interne au PD. Pour le PD, ce type de campagne institutionnelle, soutenue par toute la gauche, est la priorité en matière d’action politique. Il y a eu peu de campagne de masse comme celle organisée par les comités locaux pour le référendum sur l’eau en 2011. Schlein n’a pas changé les politiques sociales libérales générales du PD et n’a certainement pas mobilisé les travailleurs contre le gouvernement d’extrême droite de Meloni.

J’ai été surpris que, avant même la fin du référendum, Schlein ait déjà commencé à gérer les attentes en déclarant qu’un résultat de 30 % serait satisfaisant. Dans toute compétition sportive – a fortiori politique –, il est difficile de mobiliser ses troupes si l’on accepte d’avance la défaite. Landini, à son crédit, n’a pas adopté cette ligne. Son objectif de 30 % a été fixé parce qu’elle voulait dire que si les référendums rassemblaient plus de 12,5 millions de votants, cela représenterait davntage que que le nombre de voix qui a permis au gouvernement Meloni d’être. Le gouvernement s’est opposé aux référendums, mais plus de gens votent pour eux que pour son gouvernement, ce qui constituerait une défaite pour Meloni et Salvini. Personne ne croit à cette ligne.

Selon la façon dont on additionne les voix, il pourrait y avoir autant de « oui » que de voix pour Meloni. Mais on ne peut pas additionner tous les « non » ni ignorer le vote sur la citoyenneté (seulement 9 millions de « oui », soutenus par les partis centristes), qui est l’un des principaux axes du programme du gouvernement. Sur la citoyenneté, le « oui » a certainement été moins important que les voix qui ont élu Meloni. L’immigration sera un thème beaucoup plus important que les lois sur le travail dans toute future campagne électorale. Schlein devra faire face à la colère de l’aile droite du parti, qui estime que sa stratégie référendaire et son alliance avec Landini ont eu un effet boomerang ou ont offert la victoire à Meloni.

Les résultats du vote ont-ils changé la donne ?

La grande question est de savoir si l’opposition ou le gouvernement a gagné ou perdu avec ces référendums. Il est clair que ces chiffres ne donnent pas beaucoup d’espoir aux partis de centre gauche de battre la coalition de droite dans un avenir proche. On ne peut pas transposer ces résultats tels quels aux élections générales, mais les intentions de vote et la question de la citoyenneté sont de mauvais augure pour l’opposition.

Il est vrai que la campagne pour les référendums et le processus électoral ont mis ces questions sur la table, comme l’a fait valoir Landini depuis la défaite. Cependant, cela montre les limites de l’implantation des partis de centre gauche dans le pays et leur capacité à mobiliser une majorité. Cela a également mis en évidence les divisions au sein de l’opposition, contrairement à l’unité compacte du gouvernement. Conte est à la tête du Mouvement 5 étoiles (M5S) et, bien qu’il ait personnellement déclaré qu’il voterait oui à la question de la citoyenneté, il n’y avait pas de position officielle du parti. Quant à une plus large unité électorale avec les partis centristes comme Italia Viva de Renzi ou Azione de Calanda, tous deux ont voté non, sauf sur la question de la citoyenneté.

Le M5S de Conte bénéficie d’un large soutien électoral dans le sud, mais c’est là que le taux de participation a été le plus faible (un peu plus de 20 %), tandis que dans les fiefs du PD dans le nord et le centre, il a été supérieur à la moyenne (36-9 %). Comme on pouvait s’y attendre, la participation a été la plus forte dans les grandes villes et les zones urbaines. Les quartiers populaires se sont davantage mobilisés pour le vote sur les contrats, tandis que les centres historiques, plus bourgeois, ont voté majoritairement pour la modification de la loi sur la citoyenneté. Les petites villes, moins syndiquées et moins influencées par les partis de centre gauche, ont beaucoup moins voté que les grandes agglomérations urbaines. Les femmes ont voté plus que les hommes.

Les référendums ont-ils encore une utilité ?

Après les résultats, l’utilité du système référendaire abrogatif a fait l’objet de discussions. Il a effectivement apporté des changements historiques positifs, comme sur l’avortement, et la gauche a généralement soutenu son utilisation depuis lors, car, comme pour l’eau, il permet de mener une grande campagne et même de gagner. Cependant, avec un seul quorum depuis 1997, certains plaident en faveur d’une réduction du quorum afin d’encourager une plus grande participation. À droite, il est question de rendre plus difficile la tenue d’un référendum en augmentant le nombre de signatures nécessaires.

Ces votes ont reflété les rapports de force entre les classes en Italie, qui restent très défavorables à la classe ouvrière. La lutte pour la défense des droits des travailleurs et de leur niveau de vie se poursuivra à travers la construction de courants militants dans les syndicats et sur les lieux de travail. Elle se poursuit à travers les syndicats de base et au sein de la CGIL .

* Dave Kalleway est membre d’Anticapitalist Resistance, une organisation de la 4e Internationale. Article initialement publié sur leur site web, le 10 juin 2025