Publié le Dimanche 23 janvier 2011 à 17h10.

Le référendum Marchionne à l'usine FIAT de Turin: Une défaite victorieuse, une victoire précaire

C'est d'un cheveu, mais c'est finalement l'estomac qui a vaincu le coeur et le cerveau. Le réferendum dans l'usine FIAT de Mirafiori (Turin) vient d'avoir lieu: 54% des travailleurs ont dit « Oui » à la nouvelle convention d'entreprise et 45% ont dit « Non », et cela alors que la campagne médiatique en faveur du « Oui » a été intense. 5.139 personnes ont voté – 94,6% de l'effectif total – et si le « Oui » l'a emporté avec un peu plus de 400 votes, il est difficile de croire que ceux qui ont voté en faveur de l'accord le défendent tel quel.

Le nouveau contrat de travail à FIAT Mirafiori prévoit, d'une part, un durcissement drastique des conditions de travail, ce qui explique que le « Non » a été majoritaire dans toutes les lignes de montage, tandis que le « Oui » l'a emporté grâce au vote des employés de bureau (en grande partie des chefs qui forment l'encadrement hiérarchique). D'autre part, ce contrat établit un dangereux précédent pour la représentation syndicale et s'attaque aux principes fondamentaux du droit du travail et de la Constitution italienne.

L'histoire de l'Italie enseigne que ce qui se passe chez FIAT anticipe ce qui va se passer dans le reste des secteurs du monde du travail, de là le fait que ce référendum a été perçu comme quelque chose d'extrêmement important pour ses conséquences dans tout le reste du pays. Qu'on en finisse avec le contrat collectif, que l'on convoque un référendum sous pression d'un chantage – FIAT avait menacé que si le « Non » l'emportait elle quitterait l'Italie et Berlusconi s'est déclaré d'accord avec cela – pour approuver un accord qui modifie substentiellement les conditions de travail, c'est un fait gravissime, mais qui a déjà eu lieu à l'usine FIAT de Pomigliano (où le « Non » avait obtenu 36%) l'été dernier, dans une procédure qui fut, à l'époque, présentée comme « extraordinnaire ». Mais il n'y a là rien « d'extraordinnaire »; on assiste aujourd'hui à l'extension d'un modèle de contrat basé sur l'atomisation des travailleurs: « ou tu travailles comme je le veux, moi, ton patron, ou c'est la porte ».

Il est important d'évoquer le contexte local dans lequel s'est déroulé ce référendum. Comme le raconte Marco Revelli, à Turin surgit à nouveau, surtout dans les quartiers ouvriers, des magasins avec des pancartes indiquant « On achète de l'or » et dans lesquels on trouve de tout, y compris des prothèses dentaires. En 2010, le nombre de logements saisis à cause des hypothèques a augmenté de 54,8%. De 35 à 40% des travailleurs turinois du secteur du métal ont, au cours de ces deux dernières années, demandé un crédit, souvent tout simplement pour arriver en fin de mois. Vu avec cette loupe, les 45% de « Non » représentent quelque chose de surhumain.

Sergio Marchionne, Directeur exécutif de FIAT est le personnage central de l'affaire. Pour le patronat, pour Berlusconi et pour une grande partie du Parti Démocratique dans l'opposition, il fait désormais figure de « héros », de « capitaine intrépide » qui veut « changer l'Italie », « moderniser les relations syndicales » et qui parle avec « clarté et dureté ». Pour le reste, c'est un parasite qui gagne 4 millions d'euros par an, plus des stocks-options qui, grâce à la montée en Bourse du titre FIAT, dépassent aujourd'hui les 120 millions d'euros. Un manager qui gagne plus que tous les travailleurs de Mirafiori réunis, qui paye ses impôts en Suisse et non en Italie; un patron à qui il n'arrive rien si le groupe FIAT vend 17% en moins en 2010, mais qui s'en tire au contraire en massacrant les syndicats, en augmentant la valeur boursière du titre de 33%.

Comment résister à ces attaques? La réponse est apportée par Rajka Veljovic, responsable des relations internationales du syndicat serbe Samostalni, qui rappelle aux travailleurs italiens que lorsque FIAT a racheté l'usine de Zastava, elle a liencié 1.600 travailleurs: « Au moins, il faut que les travailleurs de FIATdans le monde soient unis et il faut coordonner les initiatives de lutte. Comme par exemple une grève internationale. Nous le répétons depuis 1999 » (« Il Manifesto », 13/1/2011) .

De l'autre côté du front, le ministre du Travail, Sacconi, annonce une « évolution des relations industrielles » et Marchionne célèbre « un changement historique ». La recette néolibérale pour la grande crise que traverse le secteur automobile, en surcapacité productive, consiste à précariser le travail et non dans des projets industriels qui misent sur un autre type de mobilité, ce que demande le syndicat FIOM et ce que les travailleurs exigeront dans la grève générale convoquée pour le 28 janvier.

Les néolibéraux pensent qu'ils ont gagné, mais ils sous-estiment l'augmentation de la misère massive et, par conséquent, la croissance de la conscience sociale. Les 36% de « Non » lors du référendum à l'usine de Pomigliano et les 45% à Mirafiori, personne ne s'y attendait. Tout le monde pensait que ces référendums seraient une promenade de santé pour la direction de FIAT, et cependant ce ne fut pas ainsi. Signe que cette conscience sociale se développe également parmi les intellectuels, qui depuis des années ne prêtaient pas beaucoup d'attention au monde du travail, on a vu aujourd'hui des appels se mulitiplier, comme l'appel "MicroMega" (voir ci-dessous, NdT), la lettre ouverte de 46 économistes italiens, de chercheurs, d'étudiants de l'Université de Rome « La Sapienza » ou celle de Rossana Rossanda au Président de la République.

Qui a gagné dans ce référendum de Mirafiori? On pourrait dire que ce sont les employés, les « cols blancs » des bureaux, mais il est également vrai que les travailleurs des lignes de production ont gagné dans leur terrain. Les syndicats UIL et CISL, qui ont signé l'accord, ont gagné, mais ils ont perdu en crédibilité car ils s'attendaient à 80% de « Oui ». Marchionne lui-même a gagné, mais cependant, il sort politiquement défait, à la différence de la FIOM qui sort renforcée. Les conditions de travail de ceux qui ont voté « Oui » vont empirer. Par contre, ceux qui ont voté « Non », sans perdre leur travail, ont gagné en dignité et en courage.

Gorka Larrabeiti (extraits), 16 janvier 2011

www.rebelion.org , traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be