Publié le Mercredi 28 décembre 2022 à 14h03.

Leçons des élections en Israël

Retour sur les élections législatives qui se sont déroulées le 1er novembre en Israël, et qui ont vu le triomphe de Netanyahou et de l’extrême droite.

 

Quatre campagnes électorales consécutives en Israël ont été menées avec acharnement autour d’une seule question : pour ou contre le ridiculement corrompu « roi Bibi » — en référence à Benjamin Netanyahou. Ces élections n’ont pas réussi à aboutir à un verdict clair parmi l’électorat divisé de l’apartheid israélien. Bien que les Palestiniens constituent la majorité de la population sous le régime israélien, ils n’ont aucune possibilité d’influencer démocratiquement leur destin. Tandis que les camps pro- et anti-Netanyahou se sont affrontés, le sort des Palestiniens a été complètement exclu de la discussion. Même le mot « paix », qui était régulièrement mentionné (sans réelle signification) lors des précédentes élections israéliennes, est désormais complètement démodé.

Mais il s’avère que l’année de Netanyahou en dehors du gouvernement aura réussi à changer l’agenda des élections du 1er novembre 2022. L’opposition dirigée par le Likoud de Netanyahou a concentré toute sa rhétorique raciste contre l’idée d’un gouvernement soutenu par des partis arabes. En retour, la coalition gouvernementale sortante dirigée par Yair Lapid et Benny Gantz a essayé de faire oublier au public sa période difficile à la tête du pays, en agitant la menace de la montée en puissance de Bezalel Smotrich1, Itamar Ben-Gvir2 et de l’extrême droite ouvertement fasciste. Cette campagne réciproque de haine et de peur a réussi à réveiller le public de la fatigue électorale et a augmenté les niveaux de participation à la fois parmi le public israélien juif et les « Palestiniens de 1948 » [les mal-nommés « Arabes israéliens »] qui ont le droit de vote.

Le résultat a été que le voyou Ben-Gvir a été le héros du jour, avec la Liste sioniste religieuse qui est devenue la troisième force du pays, et que Netanyahou a obtenu la majorité dont il rêvait depuis longtemps. Netanyahou peut maintenant enfourcher sa monture raciste pour échapper aux portes de la prison qui menaçaient de se refermer sur lui. Dans les années 1980, feu le rabbin raciste Meir Kahane disait aux Israéliens : « Je dis ce que vous pensez ». Il est temps aujourd’hui pour Israël de tomber les masques et de se déclarer comme l’État d’apartheid — fondé sur le racisme, le colonialisme et le nettoyage ethnique — qu’il a toujours été.

Que s’est-il réellement passé lors des élections ?

L’électorat israélien a poursuivi sa longue trajectoire à sens unique en direction de la droite raciste religieuse. On assiste à la combinaison de plusieurs tendances à long terme  :

• La croissance des communautés religieuses juives orthodoxes et l’alliance entre les dirigeants orthodoxes et la droite laïque ; 

• Le nombre croissant de colons juifs en Cisjordanie, où le conflit avec les PalestinienEs est beaucoup plus violent ; 

• Le détournement, par une communauté des colons politiquement dynamique, de l’armée et de l’appareil d’État, avec le consentement tranquille des anciennes élites apathiques ; 

• Enfin, l’illusion de l’existence d’une gauche sioniste qui s’estompe lentement mais sûrement.

En fait, il n’y a pas eu de grand changement du côté des électeurs lors de cette élection. En mai 2021, un parti d’extrême droite, Yamina, avait accepté de rejoindre le camp anti-Bibi, en échange de la nomination de son leader, Naftali Bennett, au poste de Premier ministre, et de la possibilité de dicter le programme raciste, néolibéral et antisocial du gouvernement. Maintenant que ce gouvernement a été dissous, les électeurs de Yamina sont retournés à leur place naturelle. Les autres modifications dans les résultats sont dues aux coups que se sont portés eux-mêmes les leaders du camp « alternatif  ».

C’est toujours la même vieille politique raciste israélienne, où les PalestinienEs ne sont pas considérés comme une partie légitime du jeu politique — aucune réflexion sur une solution politique n’est autorisée, et aucun Arabe ne peut partager la moindre parcelle de pouvoir. C’est une répétition amplifiée du fiasco de 2020, lorsque le général Benny Gantz3 avait refusé la perspective de diriger un gouvernement soutenu par les membres arabes de la Knesset et avait accepté de soutenir un gouvernement Netanyahou alors qu’il avait promis de s’y opposer. Cette fois, l’ensemble du gouvernement Lapid4 a fui sa propre ombre pour éviter l’accusation de «  gauchisme » ou de « s’appuyer sur les Arabes », jusqu’à s’autodétruire.

Après que les membres du parti de Bennett l’ont déserté les uns après les autres, ce dernier a finalement fait tomber son propre gouvernement, laissant la barre à Lapid. Benny Gantz et Yair Lapid, aspirant tous les deux à diriger le bloc anti-Bibi, ont axé leur campagne électorale sur le discrédit de l’autre. Chacun d’entre eux a tenté d’améliorer sa crédibilité en tuant davantage de Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie. Merav Michaeli, du vieux Parti travailliste sioniste en voie de désintégration, a refusé de former ne serait-ce qu’un bloc technique avec le Meretz5, lui aussi en voie de désintégration, de peur que son parti, qui se vante de la Nakba de 1948 et de l’occupation de 1967, ne soit considéré comme trop à gauche. Enfin, Balad6 affirme que Lapid a conspiré avec les dirigeants de la Liste arabe unie pour l’exclure de la liste à la dernière minute, dans le but de rendre la liste plus acceptable en tant que partenaire d’une future coalition sioniste. Pour ce faire, ils avaient besoin d’éliminer de la Knesset la seule voix qui osait parler (à voix basse) de la « transformation d’Israël en un État de tous ses citoyens ». Ces deux dernières décisions, à elles seules, en écartant Meretz et Balad, sont l’une des causes directes du fait que Netanyahou a maintenant une majorité et peut construire un gouvernement entièrement de droite.

Dans les décombres d’une défaite qu’ils ont eux-mêmes fabriquée, tous les leaders de ce « camp alternatif » se rejettent mutuellement la faute et détruisent ce qui reste de leurs chances de revenir au pouvoir dans un avenir proche.

Le nouveau gouvernement est-il dangereux ?

Selon un rapport publié par l’ONU le jour des élections, l’année 2022 a vu plus de meurtres de Palestiniens par les forces d’occupation et les colons israéliens que toute autre année depuis que l’ONU a commencé à comptabiliser ces meurtres en 2005. Et cela s’est produit sous un gouvernement farouchement soutenu par la fausse « gauche » du Meretz, et qui n’a pu exister que grâce au soutien d’un politicien palestinien opportuniste comme Mansour Abbas7.

Le nouveau gouvernement d’extrême droite de Netanyahou va-t-il tuer davantage ? C’est évidemment possible. Mais ce n’est pas l’opinion publique israélienne qui limite les atrocités contre les PalestinienEs. Le fait fondamental est qu’Israël a besoin du soutien des États-Unis (et, dans une moindre mesure, de l’Europe occidentale) sur le plan militaire, économique et politique pour continuer à bénéficier de l’impunité pour ses crimes contre l’humanité. La principale force susceptible de freiner les crimes de guerre israéliens est la pression exercée par les puissances occidentales, motivée par la crainte d’une réaction brutale des masses arabes. Un signe encourageant est que les bailleurs de fonds internationaux d’Israël ont déjà émis des signaux d’avertissement à la suite des résultats des élections.

Nous avons également des raisons personnelles de nous inquiéter. Si Ben-Gvir devenait ministre de la Sécurité nationale, comme cela est envisagé, il pourrait envoyer la police frapper à ma porte. C’est la menace supplémentaire avec les fascistes : non seulement l’occupation militaire, mais aussi le ciblage des opposantEs politiques. En évoquant cette menace directe, je ne peux m’empêcher de me rappeler que la dernière fois qu’ils sont venus m’emmener pour un interrogatoire du Shabak, en avril 2021, ils n’ont pas frappé à ma porte mais l’ont littéralement enfoncée. L’oppression politique n’est donc pas nouvelle non plus. Mais peut-être que sous le nouveau gouvernement, plus de gens comprendront enfin que la « démocratie israélienne » n’existe pas et qu’elle ne peut donc pas être défendue ou sauvée.

La véritable lutte

Les luttes pour la démocratie, pour les droits humains, pour la libération palestinienne, pour le droit au retour, pour l’établissement d’un État libre, laïc et démocratique en Palestine, ne peuvent avoir lieu dans le cadre de la Knesset — l’Assemblée législative de l’État d’Israël de l’apartheid. La lutte palestinienne ne faisait pas partie de ces élections — mais les élections ont eu lieu dans l’ombre de cette lutte.

Avec l’ascension du camp du sionisme religieux, les colons et les foules racistes qui attaquaient et lynchaient les Palestiniens dans les villes mixtes en mai 2021 ont gagné leur reconnaissance et leur place en tant que force politique majeure en Israël.

Un autre écho de mai 2021 peut être entendu dans ces élections. Il s’agit du succès de Balad en tant que parti indépendant. Le parti, qui n’avait qu’un seul député à la dernière Knesset, a obtenu 3% des voix et aurait pu avoir trois ou quatre députés sans le seuil minimal de 3,25% pour la représentation. Balad a reçu la plupart de ses votes des jeunes Palestiniens qui ont défendu leurs quartiers contre les voyous de Ben-Gvir (et la police et les gardes-frontières israéliens) en mai 2021. La plupart de ces jeunes radicaux ne voteraient pas naturellement aux élections de la Knesset. Et maintenant, Balad, en dépit de tout le soutien qu’il a reçu, est également exclu de la Knesset. Cela pourrait-il ouvrir la voie au développement d’une nouvelle alternative palestinienne, indépendante des cadres dictés par Israël ?

Dans les mouvements dont je suis membre, Herak Haifa et Abna elBalad8, nous n’avons aucune illusion sur le fait qu’un changement réel puisse être obtenu par la Knesset. Nous avons boycotté les élections comme nous le faisons toujours. Lors de ces dernières élections, tout le monde s’attendait à des gains historiques pour le boycott électoral, puisque 60 % des Palestiniens autorisés à voter ont refusé de participer. Mais l’horrible campagne a fait son effet, et les Palestiniens ont voté en plus grand nombre que prévu. Le mouvement de boycott est resté inhabituellement discret. Les dirigeants des partis arabes de la Knesset et de la fausse « gauche » sioniste se sont tournés de façon hystérique vers les électeurs palestiniens pour qu’ils nous sauvent tous des fascistes. S’ils avaient cru leurs propres paroles, ils n’auraient pas détruit leurs chances d’élection par leurs propres actions.

 

Traduction J.S. Source : mondoweiss.net.

  • 1. Député d’extrême droite (Parti sioniste religieux).
  • 2. Député d’extrême droite (Otzma Yehudit, « Pouvoir juif »).
  • 3. À la tête du « Parti de l’unité nationale » (centre droit), ministre de la Défense sortant.
  • 4. Fondateur du parti Yesh Atid (centre droit, laïc), Premier ministre et ministre des Affaires étrangères sortant.
  • 5. Gauche, laïc, membre de l’Internationale socialiste.
  • 6. Palestiniens d’Israël, défendant la désionisation et l’égalité des droits.
  • 7. À la tête de la Liste arabe unie, il a accepté de participer au « gouvernement d’union nationale » dirigé par Naftali Bennett et Yaïr Lapid.
  • 8. Associations d’activistes israéliens anti-occupation et anti-apartheid.