Erdogan et son armée ont engagé une nouvelle offensive meurtrière contre le peuple kurde de Turquie, interrompant brutalement le « processus de paix » engagé depuis deux ans et demi avec le PKK – Parti des travailleurs du Kurdistan, la principale expression politique et militaire de la résistance kurde.
Le déclencheur a été le massacre (32 morts et des dizaines de blessés) perpétré par Daesh le 20 juillet à Suruç, localité turque frontalière de Kobané, dans un rassemblement d’étudiants qui partaient aider à la reconstruction de la ville martyre. Deux jours plus tard, le PKK exécutait deux policiers identifiés comme collaborateurs de Daesh.
C’est le prétexte que le gouvernement Erdogan a choisi pour lancer sa campagne de bombardements de villages kurdes et de camps de combattants en Syrie et en Irak (ceux-là même qui avaient fait reculer Daesh !), plus généralement pour réprimer violemment les Kurdes et les militants de gauche. Début septembre, cette politique a franchi un nouveau seuil quand des groupes paramilitaires de l’AKP (le parti d’Erdogan) et du MHP (extrême droite) ont attaqué plus de 250 locaux du HDP (Parti démocratique des peuples, la gauche pro-kurde), en commettant aussi de véritables pogromes contre la population kurde, tout cela sous l’œil complaisant de la police.
Les motifs d’Erdogan sont principalement d’ordre – si l’on peut dire – « politique ». C’est en effet la montée du HDP qui a été la cause principale de son échec lors des élections législatives du 7 juin. En obtenant 13 % des voix, ce parti, qui réunit le mouvement national kurde et un important secteur de la gauche radicale et démocratique turque, est entré en force au parlement avec 80 députés, privant l’AKP de sa majorité absolue et brisant le rêve d’Erdogan – au pouvoir depuis 2003 – de retailler la constitution à sa main.
Dans une large mesure, ce résultat électoral n’a fait cependant que refléter une situation dans laquelle les difficultés s’accumulaient pour le « sultan » Erdogan et ses fidèles. Les mobilisations du parc Gezi – à l’été 2013 – et leur répression violente ont déclenché un mouvement national de contestation et révolte contre la dictature « démocratique » du parti islamiste. La Turquie a fini par être touchée, elle aussi à l’instar des autres pays « émergents », par la crise économique mondiale de 2008. Le drame de la mine de Soma en mai 2014 (où 301 travailleurs ont perdu la vie) a contribué à saper le mythe du libéralisme éclairé des actuels gouvernants. Les luttes ouvrières (notamment les grèves des travailleurs de Renault et Fiat, dans la région de Bursa) ont connu un essor significatif depuis le début 2015. Et au final, comme le scrutin du 7 juin en a fait la démonstration, le processus de paix engagé entre le PKK et l’Etat turc a bénéficié non à ce dernier mais au mouvement national kurde et à la gauche.
Telles sont les raisons pour lesquelles Erdogan y a mis un terme (pour un temps au moins), en choisissant, simultanément à sa convocation de nouvelles élections pour le 1er novembre, d’en appeler au nationalisme grand-turc avec tout ce qu’il comporte de traits militaristes et fascisants.
Mais le régime turc n’aurait pas pu procéder de la sorte s’il n’avait pas bénéficié du soutien politique d’Obama et des autres impérialismes occidentaux – dont la France. L’hypocrisie et le jeu trouble de ces gouvernements est un autre élément du puzzle. Ils avaient soutenu « tactiquement » la résistance kurde de Kobané face au danger à leurs yeux majeur que Daesh représentait, mais n’ont pas hésité à condamner les « attaques terroristes » qu’ils attribuent au seul PKK, en affirmant respecter « pleinement le droit de notre allié turc à l’autodéfense » (et tout en appelant à la « désescalade » et au retour à un « processus de solution pacifique » de la question kurde !) Peu importe si le supposé engagement d’Erdogan contre Daesh n’est que du vent – la mise à disposition des USA de la base turque d’Incirlik constitue un gage suffisant.
Nul besoin donc d’insister sur le fait que notre solidarité avec le peuple kurde et la gauche turque soit indissociable de la lutte contre les impérialismes occidentaux, à commencer par notre propre gouvernement…
Jean-Philippe Divès