En Afghanistan, en Libye ou en Côte d’Ivoire, la liberté ne naît jamais sous les bombes qui ont plutôt pour effet de ressouder les populations contre les troupes d’intervention.Après la mort, les mots pathétiques, créant une atmosphère lugubre. « Soldats, vous êtes partis en pleine jeunesse, mais nul ne vous a volé votre destin. Soldats, vous avez vécu et vous êtes morts en hommes libres ». Curieux concept que celui-ci, la mort « en homme libre », sous le commandement des officiers de l’armée française. Ce sont là les mots qu’a assenés Nicolas Sarkozy, mardi 19 juillet, lors de l’« hommage national » rendu à sept soldats français morts en Afghanistan, la semaine dernière. Sarkozy a aussi parlé d’un « sacrifice pour une grande cause », sans préciser laquelle, sinon qu’il a beaucoup évoqué « la liberté ». La semaine précédente déjà, son Premier ministre s’était cru obligé de préciser – en réponse à une critique formulée par Ségolène Royal, la très patriotique et très militariste candidate à l’investiture du PS – que ces soldats n’étaient « pas morts pour rien ». Vendredi 15 juillet, il ajoutait depuis la Côte d’Ivoire, théâtre d’une intervention militaire récente de la France : « Celui qui meurt pour la paix, au service de son pays, personne n’a le droit de dire qu’il est mort pour rien. »
On pourra ajouter que celui qui meurt au profit de politiques expansionnistes et contraires à la liberté des peuples a été, malheureusement, sacrifié pour rien. En quoi le peuple afghan est-il, aujourd’hui et après bientôt dix années d’une intervention militaire qui a commencé le 7 octobre 2001, plus libre qu’il ne le serait sans la présence des troupes (françaises et autres) ? Certes, les talibans ne se battent pas non plus pour une cause qu’on pourrait qualifier de libératrice, émancipatrice. Mais une occupation militaire qui se prolonge et n’a en rien amélioré la vie quotidienne du peuple afghan, transforme ces mêmes talibans aux yeux de nombreux Afghans en vaillants « résistants contre une agression étrangère ». Les idées d’une libération politique et sociale ne peuvent venir que de l’intérieur d’une société, et jamais par les baïonnettes d’une ou plusieurs armées d’occupation. Certes, le président français aurait aimé parler d’autre chose que de la mort de soldats français, ce 14 juillet. Ce jour-là et selon ce qu’il faisait comprendre à son entourage, il aurait voulu à tout prix célèbrer un triomphe militaire français en Libye : la reddition ou la mort (sous les bombes) du vieux colonel Kadhafi. Celui-ci, au pouvoir depuis le 1er septembre 1969, est cependant suffisamment expérimenté pour déjouer un certain nombre de plans sur la comète. EnlisementL’intervention militaire essentiellement franco-britannique, déclenchée le 19 mars dernier, ne marche vraiment pas comme l’auraient voulu ceux qui ont décidé de la lancer. À l’époque, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères de Sarkozy (au début plus sceptique que son maître quant à cette intervention), avait assuré qu’elle allait durer « des jours ou des semaines, mais certainement pas des mois ». Nous voilà déjà à quatre mois d’opérations. Les décideurs avaient éventuellement sous-estimé la base sociale qui reste au régime de Kadhafi dans certaines parties du pays ou certains groupes de population. Surtout, au lieu de se rétrécir – alors que des manifestations contre la dictature s’étaient déroulées jusque dans des quartiers de la capitale Tripoli, en février –, elle s’est ressoudée autour de lui. Les bombardements ne renforcent pas l’opposition civile (elles l’affaiblissent plutôt) qui s’est retirée de la scène publique une fois que le conflit politique s’est transformé en guerre civile puis celle-ci en guerre conduite de l’extérieur.
À l’heure où les déceptions deviennent visibles, certains des décideurs politiques semblent même modifier leurs plans en vue d’un éventuel arrangement avec la dictature. Ainsi, le 10 juillet, le ministre de guerre sarkozyste, Gérard Longuet, avait-il précisé qu’il se contenterait – comme but politique de l’intervention – que Kadhafi soit « dans une autre pièce de son palais avec un autre titre ». Il est probable que des négociations, portant sur un partage du pouvoir entre une partie de son régime et certains dirigeants rebelles actuels, sont déjà à un stade avancé. Elles n’impliquent pas uniquement des Français. Au début de la semaine, il a été rendu public que des émissaires états-uniens négociaient depuis trois jours à Tunis avec des représentants du régime de Kadhafi. En attendant, la signature d’accords entre les rebelles et les puissances occidentales, portant non seulement sur le pétrole mais aussi sur le renvoi en Libye de migrants africains « indésirables » (accord entre le gouvernement italien de droite-extrême droite et le « Conseil national de transition » libyen du 16 juin), est un mauvais signe politique pour l’avenir.
Bertold du Ryon