La loi de programmation militaire 2024-2030 a été largement adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 7 juin dernier. Macron a fait passer son texte avec le soutien de la droite et de l’extrême droite, seulEs des députéEs de la NUPES s’y sont opposés. Le texte prévoit un budget militaire de 413 milliards d’euros sur 7 ans.
Le budget de l’armée qui est déjà le second de l’État, devrait ainsi passer de 43,9 milliards en 2023, à près de 69 milliards en 2030 ! Cette hausse faramineuse est justifiée en haut lieu par les tensions géopolitiques actuelles et la concurrence des autres puissances dans les zones sous influence française.
La « multipolarisation » du monde qui a suivi l’effondrement de l’URSS a ouvert une nouvelle donne stratégique dans les pays et territoires sous domination occidentale. Ainsi, à partir des années 2000 on a vu divers pays sud-américains s’émanciper de la tutelle étatsunienne en se tournant vers l’Europe, la Chine ou la Russie. Ces bouleversements impérialistes sont également observés en Afrique avec la perte d’influence de la France en Centrafrique ou dans l’ouest africain, allant jusqu’à sont expulsion du Mali en 2022. Ces reculs stratégiques de la puissance impérialiste française se font au profit d’autres forces impérialistes tels que les États-Unis, la Russie ou encore la Chine. La nouvelle loi de programmation militaire semble prendre acte de cette perte d’influence impérialiste avec une baisse du budget alloué aux dépenses pour les opérations extérieures malgré l’explosion globale du budget.
La loi de programmation militaire prévoit un repli stratégique important sur les dernières colonies françaises appelées pudiquement « outre-mer ». Sur les sept années qui viennent, le budget dédié aux armées dans les « outre-mer » est de 13 milliards d’euros. Il faut comparer cette enveloppe de 13 milliards pour les armées dans les « outre-mer » aux 2,4 milliards de budget 2023 du ministère des Outre-mer. Quand on prend en considération que la principale augmentation du budget du ministère des Outre-mer en 2023 est liée à l’augmentation de 250 millions d’euros du budget du Service militaire adapté (RSMA), on en déduit que la moitié des dépenses de l’État prévues dans les outre-mer dans les prochaines années sera dédiée à l’armée !
Les dépenses programmées devraient permettre à l’État français de renforcer sa présence dans ses dernières colonies avec la création de 800 postes supplémentaires et le doublement du nombre de réservistes (+ 2 100) à l’horizon 2030. Ainsi la Kanaky ou la Guyane, qui connaissent déjà la plus forte concentration de soldats français par habitant, devraient battre de nouveaux records. Enfin, comble de cynisme, cette loi prévoit l’implication des collectivités locales dans l’accueil et l’hébergement des familles de militaires, ce qui revient à faire payer aux colonisés le prix de leurs chaînes !
Officiellement, ce redéploiement militaire dans les « outre-mer » est réalisé afin de permettre « à la France de réaffirmer sa souveraineté » face aux « menaces hybrides » et face aux « concurrents stratégiques qui déploient leurs capacités militaires à proximité ». Cependant il n’aura échappé à personne que ce repli stratégique vers les colonies s’opère à un moment où la France craint de perdre une partie de son territoire issue de cinq siècles de colonisation. En effet, les territoires colonisés par la France sont actuellement dans une phase instable, avec le processus indépendantiste kanak qui, loin d’avoir dit son dernier mot, est en pleine remobilisation, la Polynésie qui vient de se doter d’un gouvernement indépendantiste et a fait réinscrire son territoire sur la liste de l’ONU des pays à décoloniser, la Guyane qui est en cours d’élaboration d’un nouveau statut d’autonomie ou encore les Antilles et la Réunion qui se sont engagées dans un processus de modification statutaire en signant l’appel de Fort-de-France. Dans un tel contexte, il semble évident que le déploiement de l’armée coloniale dans ces régions soit avant tout un rempart contre les velléités indépendantistes afin de permettre à la France de pouvoir continuer de revendiquer « sa souveraineté » sur la deuxième zone économique exclusive mondiale que compose l’ensemble des territoires qu’elle a annexés !
Adrien Guilleau est membre du Mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale (MDES) en Guyane.