Le 16 décembre, une grève générale de huit heures a eu lieu en Italie à l’appel de la CGIL et de l’UIL — deux des trois principales confédérations syndicales — contre le contenu de la loi de finances (budget) que le gouvernement de Mario Draghi s’apprête à faire passer au Parlement.
Suivie à 85% dans de très nombreux secteurs, la grève générale du 16 décembre en Italie a été un succès. La dernière grève générale avait eu lieu il y a sept ans, au 12 décembre 2014, quand les places italiennes s’étaient insurgées contre le Jobs act de Matteo Renzi.
Le droit de grève dans la société néolibérale
Le succès arrive en dépit d’une campagne médiatique de délégitimation et de boycott de la grève dans le cadre de laquelle journalistes, personnalités politiques et commentateurs se montraient unis dans la dénonciation de « l’irresponsabilité » des grévistes et des manifestants osant bloquer l’économie dans une telle période. Dans le monde du capital et du précariat de masse, on ne peut pas se permettre la grève ! Il s’agit bien là d’une forme de totalitarisme libertarien dans le cadre duquel on essaie de masquer les conflits au nom de la croissance des profits. La remise en cause constante de la grève et de ses acteurs est un symptôme très inquiétant qui devrait nous alerter sur l’état de déliquescence des démocraties occidentales. Depuis toujours, ce sont les conflits et les mouvements qui ont réussi à impulser l’élargissement des droits collectifs et la poursuite du progrès social. Confrontée à un processus continu de détérioration des mécanismes de la solidarité, des services publics essentiels et des droits des travailleurs, l’Italie a cruellement besoin de la grève.
Pourtant, les confédérations syndicales l’ont appelée au dernier moment, après de longues discussions avec le gouvernement Draghi, mais celui-ci ne leur a rien concédé. Les directions syndicales se sont donc retrouvées dos au mur ; non seulement leurs revendications n’ont en aucune façon été satisfaites, mais on leur a refusé le moindre rôle de médiation et de consultation.
Les invisibles sont la majorité de la société
Derrière un illusoire tôt de croissance à 6,1% en 2021, se cache une situation dramatique : absence d’un revenu minimum, précarité, chômage et un niveau très bas des revenus et des retraites.
En Italie, selon les syndicats, les jeunes avocats envoient des cinquantaines de candidatures sans obtenir de réponse, les jeunes stagiaires qualifiés sont rémunérés à 300 euros, d’autres jeunes travaillent avec des contrats précaires pour 5 euros l’heure. La situation de nombreux retraités est également très inquiétante. Les syndicats et les travailleurs s’insèrent dans la continuité des luttes contre le précariat et la flexibilisation du travail catalysées, au début du siècle, par la campagne autour de l’article 18 (protégeant les travailleurs des licenciements) qui avait promu la grève générale du 15 février 2001.
Depuis des décennies, le monde du travail est soumis à des attaques constantes contre ses droits fondamentaux, qui génèrent inégalités, instabilité et souffrances. Cela explique la large adhésion à la grève, qui concerne une grande diversité de secteurs clés comme la métallurgie (80% d’adhésion), l’automobile avec 90% d’adhésion des ouvriers de la Lamborghini de Bologne ou l’agroalimentaire avec 100% à La Doria de Salerno, 91% à la fabrique des pâtes Granoro à Bari et 85% à la Parmareggio de Mantova ; une adhésion totale aussi chez les dockers de Gênes. La solidarité avec la grève a en outre été très importante de la part des organisations étudiantes et des retraitéEs.
Il s’agit d’une grande majorité de la société italienne, désormais invisible dans l’espace public et incapable de trouver une représentation politique, qui a exprimé un fort mécontentement face aux reformes budgétaires, économiques et fiscales du gouvernement d’Unité nationale dirigé par Mario Draghi. Le ras-de-bol a explosé avec l’annulation de la disposition fiscale pourtant prévue par Draghi et visant à suspendre pour quelques mois les avantages fiscaux prévus pour les revenus annuels supérieurs à 75 000 euros afin d’en faire bénéficier les bas salaires. Le monde du travail s’insurge contre les cadeaux fiscaux aux grosses entreprises sans aucune condition, les injustices causées par la reforme des retraites Fornero, les délocalisations sauvages et les pertes d’emplois. D’une façon générale, le plan de relance financé par l’Europe fait peser entièrement la crise sur les travailleurEs et ne prévoit aucune mesure réellement redistributive.
Penser l’après-grève et lui donner une forme politique
L’histoire du mouvement ouvrier nous enseigne que la focalisation sur des revendications principales largement partagées produit des avancées en termes de nouveaux droits et d’amélioration des conditions de travail.
Pour envisager un après, il faudrait donc continuer et intensifier la mobilisation en impliquant différentes catégories sociales qui peuvent s’unir pour revendiquer l’augmentation et la continuité du salaire, l’interdiction des licenciements, l’accès universel à des biens et des services essentiels comme la santé et l’éducation ainsi que l’accueil et la solidarité vis-à-vis des migrantEs. Ces droits sont de plus en plus niés en Italie.
La forte participation à la grève générale nous indique qu’un mouvement d’ampleur peut émerger dans ce contexte de crise. La gauche, pratiquement absente des instances de pouvoir, pourrait bien se remettre en mouvement dans la rue, dans les lieux de travail et dans tous les espaces où la contestation du capitalisme pourra s’exprimer. En tout état de cause, une brèche a été ouverte. Il existe un potentiel qui peut être exploité, à condition que la journée du 16 décembre soit conçue comme une étape d’une mobilisation prolongée, difficile et dure, capable de polariser progressivement des forces plus larges.