C’est le 22 décembre dernier qu’a été observée une grève générale au Niger, date bien inspirée puisqu’elle coïncide avec ce qui aurait dû être la fin du dernier quinquennat du Président Mamadou Tandja qui a obtenu en août 2009 une rallonge de trois ans au moyen d’un simulacre de référendum. A l’appel de la CFDR (Coordination des Forces pour la Démocratie et la République) regroupant partis politiques, syndicats, organisations de défense des droits de l’homme et organisations de la société civile, cette grève a, selon les syndicats, largement été suivie dans le secteur public et parapublic qui exigeait une nouvelle fois des augmentations de 50 % des salaires et une baisse de 50 % des impôts sur le revenu. Elle fait suite à une série de manifestations pour contraindre le gouvernement à revenir à une vie constitutionnelle normale.
C’est cette soit disant collision entre les différents mots d’ordre et les véritables revendications des grévistes que le porte-parole du gouvernement Kassoum Moctar a voulu dénoncé en qualifiant cette grève de «purement politique» dont la date n’avait pas été choisie au hasard et «menée par des hommes politiques aux abois». Fichtre, quel visionnaire ce Moctar ! En effet, comme il l’a bien pressenti, ce débrayage se justifie bien sûr par la crispation de la situation sociopolitique du pays où le mandat de Mamadou Tandja a perdu toute légitimité et toute légalité et où l’opposition dénonce le «délire autocratique» du président. D’ailleurs au-delà de la dimension politique, ce sont les travailleurs, qui déjà très fragilisés par une situation économique et sociale agonisante, craignent les retombées de la suspension de l’aide internationale. Après des législatives très controversées et boycottées en octobre 2009, la CEDEAO a en effet suspendu le Niger pour violation des textes communautaires sur la démocratie et entraîné ainsi la suspension de l’aide au développement du l’UE. Puis c’était au tour de Washington de suspendre son aide financière, de «retarder» ses exportations d’«articles et services de la défense» vers le Niger et d’interdire de séjour aux Etats-Unis les hautes personnalités du pays.
Qu’à cela ne tienne ! Tandja, flanqué de sa VIe République et de son «tazartché» («continuer sans s’arrêter» en langue haoussa) mené tambour battant à l’aide de ses faucons gouvernementaux, franchit une étape supplémentaire en organisant totalement illégalement le 27 décembre dernier des élections municipales boycottées par la CFDR. Dénonçant les «ingérences» étrangères dans la crise politique qui secoue son pays, il sait également ce qu’il pourrait lui en coûter de se priver des concours financiers de ses principaux partenaires. Contraint par le communiqué d’Abuja du 22 décembre sous-entendant que la CEDEAO ne le reconnaissait plus constitutionnellement, Tandja accepte à contre-coeur un dialogue politique avec ses opposants pour tenter de trouver une issue à la crise. Afin de mener ces «pourparlers inter-nigériens», c’est l’ex-dirigeant nigérian Abdulsalami Abubakar qui a été désigné comme médiateur afin d’instaurer les «conditions d’une sortie de crise consensuelle». Mais dès le début des discussions, les participants ont buté sur la question de l’ordre du jour et du contenu même des échanges : campant chacune sur ses positions, la partie gouvernementale conditionne toute négociation au maintien de la nouvelle constitution alors que l’opposition souhaite elle concentrer le débat sur l’annulation du dernier référendum constitutionnel. Après de multiples réunions suspendues ou restreintes et les difficultés à fixer un ordre du jour consensuel, le médiateur finit par demander aux deux parties de faire par écrit leurs propositions de sortie de crise. Pour ce faire, il leur demande de bien vouloir envisager le principe d’un pouvoir de transition.
C’est dans ce cadre que l’opposition nigérienne proposerait un nouvel organe législatif de transition, une commission qui aurait pour tâche la rédaction d’une nouvelle Constitution et le refus que les personnalités ayant dirigé la transition soit candidates aux nouvelles élections. Alors que le camp présidentiel proposerait lui «le maintien en l’Etat» des institutions de la VIe République mais en associant l’opposition à la gestion de l’Etat. Ben voyons ! A la reprise des pourparlers, le 14 janvier, la médiation proposait le maintien en fonction du Président Tandja et une période de transition dirigée par un «gouvernement de réconciliation nationale» sans autre précision sur les durées du maintien et de la période de transition. Cette feuille de route assez floue pour l’instant ne tranche bien évidemment pas sur l’écueil décisif du maintien ou non de l’illégitime VIe République, du maintien ou non de Tandja à la fin de la transition et du véritable rôle du gouvernement de réconciliation nationale. Aucune garantie n’est donc donnée à l’opposition quant au retour à l’ordre constitutionnel, à son rôle dans la transition ni sur l’organisation des nouvelles élections... Les imprécisions des propositions du médiateur pourraient faire largement penser à une certaine bienveillance à l’égard des conditions gouvernementales. Même si la feuille de route est censée être axée sur une transition consensuelle, il tiendrait du prodige que les deux parties puissent s’entendre sur le contenu, la durée et les contours de celle-ci. De toute façon, le ministre de la communication Moctar Kassoum l’a dit : «Rien ne se fera en dehors du cadre de la VIe République» et «...de même la démocratie sera préservée et pérennisée». Cherchez l’erreur !
Isabel Ferreira