Pendant des années, dirigeants et médias ont rabâché leurs boniments : la « main invisible » du marché et le jeu « gagnant-gagnant » de la concurrence allaient bientôt résoudre tous les problèmes dans le « village global » de la mondialisation capitaliste. Mais quand le système implose, emporté par sa propre dynamique, le discours dominant se transforme. Ceux qui vantaient les qualités intrinsèques du système évitent désormais de parler de ce dernier. Pour expliquer la conjoncture, ils font appel à la météo : « la crise est comme une tempête et je pense qu’il est de peu d’efficacité de protester contre la tempête » déclarait Laurence Parisot lors des grèves de l’hiver 2009. Un an plus tard, la crise grecque révélait pourtant que l’Europe n’est pas menacée par une catastrophe extérieure, mais par ses propres contradictions. C’est ce que viennent encore de démontrer les ministres européens des finances en assortissant le prêt à l’Irlande d’un plan d’austérité mortifère. Christine Lagarde espère que « l’incendie est éteint ». Mais les attaques spéculatives s’intensifient contre les titres des dettes publiques espagnole et portugaise – en dépit de l’annonce d’un nouveau plan. Il n’y a ni incendie ni tempête. Les tourments dans lesquels sont plongés les travailleurs européens résultent de décisions politiques : dumping fiscal, socialisation des pertes bancaires, liberté de circulation des capitaux. En Europe, les déséquilibres économiques s’accentuent et la finance, expression du capital centralisé, se déchaîne. Face aux régressions sociales, une mobilisation internationale est nécessaire (lire dossier central). La synchronisation et la brutalité des attaques à l’échelle du continent en ouvrent la possibilité. De fait, les étudiants irlandais, anglais et italiens manifestent avec les mêmes slogans. Les travailleurs portugais ont organisé une grève générale le 24 novembre, les Irlandais manifestaient massivement le 27, les travailleurs des transports de Londres faisaient grève le 29. Vers un mouvement social européen ?
Philippe Léger