Publié le Vendredi 7 octobre 2016 à 07h10.

Référendum en Hongrie : « Un échec par rapport aux attentes du pouvoir »

Entretien. Animateur de la revue de gauche Eszmélet, Gyözö Lugosi nous a accordé cette interview juste après les résultats du référendum organisé par le Premier ministre hongrois, Viktor Orban.

Peux-tu nous expliquer le résultat du référendum ? Il y a une écrasante majorité de Non (en fait, non à l’accueil de migrants), la consigne de vote donnée par le Premier ministre. Et pourtant le référendum n’est pas valable. Pourquoi ?

La loi relative aux référendums a été soumise au Parlement et votée par la majorité de droite après 2010 justement pour entraver les référendums dans d’autres affaires indésirables pour le pouvoir. Elle prescrit pour que le résultat soit valable un taux de participation élevé : 50 % + 1 vote. Abstentions et votes nuls ne comptent pas. Malgré la formulation extrêmement manipulatrice de la question posée et la campagne incroyablement agressive et énormément coûteuse (15 milliards de HUF, ce qui dépasse le coût du référendum britannique sur le Brexit), Orban n’a pas réussi à convaincre la majorité des citoyens hongrois d’aller voter de façon valide.

Les deux « grands » partis de gauche (PS, Coalition démocratique) ont mobilisé leurs sympathisants pour l’abstention (non-participation, boycott), d’autres forces civiles progressistes plutôt pour un vote invalide.

Dans cette situation, la majorité de Non correspond grosso modo à l’effectif global de l’électorat actuel du Fidesz (le parti du Premier ministre) et de Jobbik (extrême droite), soit autour de 40 %. Cela pose l’éventualité d’une coalition tacite (voire même ouverte) de ces deux grands partis. Cependant, Gábor Vona, président de Jobbik, au soir même du référendum, a appelé Orban à démissionner, argumentant que, suite à cet échec politique de Fidesz et au pari hasardeux et irresponsable d’Orban, la Hongrie se trouve maintenant politiquement gravement affaiblie devant Bruxelles...

Est-ce que ce résultat peut être analysé comme un échec pour Orban ? Est-ce que la gauche peut en profiter ?

Oui, ce résultat est indéniablement un échec par rapport aux attentes du pouvoir, même si ce dernier – et Orban personnellement – parle publiquement d’un « triomphe écrasant ». Mais cela ne signifie aucunement que la gauche politique en crise peut en profiter de façon significative et qu’elle ait la chance d’acquérir le pouvoir en 2018. Les questions fondamentales de la société hongroise – et de sociétés de l’Europe de l’Est en général – se situent au-delà de la migration (la grande majorité de membres de ces sociétés ne rencontrent jamais de leur vie d’immigrants et de réfugiés syriens, afghans ou africains...).

Y a-t-il des disparités dans les résultats. Entre les catégories sociales ? Entre Budapest et la province ?

Le taux des Non est le plus élevé dans le département de l’ouest de la Hongrie de Vas (Szombathely), à la frontière autrichienne, et de façon plus générale parmi les couches aisées (à Budapest par exemple dans les quartiers chics de Buda). L’abstention a été très élevée au sein des défavorisés (par exemple  dans le 8e arrondissement de Budapest habité par des pauvres, tsiganes et non-tsiganes).

L’année dernière, il y avait eu en Hongrie un mouvement de solidarité avec les migrants. Qui a appelé à voter Oui, Nul ou à boycotter le référendum ?

Ces sentiments de solidarité persistent dans une large couche de la société, surtout urbaine et scolarisée (Budapest, Szeged, Pécs...). Mais en même temps, l’angoisse et la peur se propagent également sous l’influence de la propagande morbide du pouvoir. Cela est aussi dû à la perplexité concernant les instances politiques européennes, avec la gestion du défi de la pression migratoire due au démantèlement des structures politiques et sociales dans le bassin oriental de la Méditerranée.

Il y a deux ans, Orban apparaissait comme isolé en Europe. Aujourd’hui, d’autres pays comme la Pologne, la Slovaquie... semblent l’avoir rejoint. Comment interprètes-tu cette évolution ?

Cette acceptation de la part de Bratislava et de Varsovie est, selon moi, très partielle, conditionnelle et pour ainsi dire tactique. Fico et Kaczinski, les Premiers ministres slovaque et polonais, poussent plutôt Orban devant eux, mais dans les coulisses diplomatiques ils sont beaucoup plus « empathiques » à l’égard de la position de Bruxelles et surtout de Berlin. Et visiblement ils n’ont pas d’envie d’attirer sur eux la désapprobation des Américains... La folie d’Orban est telle qu’il a publiquement pris position pour la victoire de Trump aux élections présidentielles US.

Propos recueillis par Henri Wilno