Entretien avec Renée Ravoteur, membre du NPA et du Groupe Révolution socialiste (GRS), de retour des Antilles.
Tu étais il y a quelques jours encore aux Antilles, peux-tu nous parler de la situation à laquelle sont confrontés les habitantEs de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, en particulier parmi la population la plus pauvre ?
11 mortEs, 112 blesséEs, des disparuEs, des personnes restées plusieurs jours à attendre des secours… Le 11 septembre, une semaine après le passage de l’ouragan et jour de l’arrivée de Macron à Saint-Martin, des queues de 2 heures, sous un soleil de plomb, pour avoir quelques denrées alimentaires. L’eau distribuée est encore en quantité insuffisante. La ministre des Outre-Mer reconnaissait encore le 15 septembre qu’il manquait des pastilles pour purifier l’eau !
On parle d’imprévoyance de l’État, de comportement colonial… Qu’en est-il ?
Les mesures immédiates de prévention ont été largement insuffisantes, quoi qu’en disent les responsables politiques – à commencer par Macron et Annick Girardin la ministre, qui ont affirmé qu’il était impossible de savoir à l’avance ce qui allait se passer. D’ailleurs, ils se contredisent puisque Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement a affirmé : « Évidemment nous savions depuis quelques jours que le risque était extrêmement élevé ». Le Centre américain des ouragans (NHC) avait communiqué qu’Irma était un ouragan de catégorie 5 – la plus élevée sur l’échelle de Saffir-Simpson, avec des rafales de vent à plus de 300 km/h et une houle de 12 mètres. Le NHC avait averti qu’Irma serait l’un des plus puissants ouragans de l’histoire et avait demandé de prendre des mesures de prévention. Les autorités cubaines, qui ne disposent pas de la puissance et de la richesse d’un pays comme la France, ont mis à l’abri un million de personnes, comme elles le font chaque fois qu’un ouragan menace. Saint-Martin compte environ 36 500 habitantEs et Saint-Barthélemy 9 500, et les autorités françaises n’ont même pas transféré, à la Guadeloupe ou à la Martinique, au moins les personnes vulnérables, particulièrement les malades. Sur les ondes de Guadeloupe 1ère, j’ai entendu un appel des infirmières libérales disant qu’elles ne pouvaient plus aller soigner leurs patients faute de voiture, de route, elles-mêmes complètement sinistrées. Pendant deux jours on n’a eu aucune nouvelles de Saint-Barthélemy…
Et il y avait déjà eu des mises en garde…
Oui, depuis plusieurs années la sonnette d’alarme a été tirée. Saint-Martin et Saint-Barthélemy étaient des communes de la Guadeloupe. En 2007, elles sont devenues par référendum des collectivités d’Outre-Mer. Ce statut accorde aux autorités locales toute latitude sur le plan fiscal. Une grande différence existe entre les deux îles : Saint-Barthélemy est un véritable paradis fiscal, chacun peut y échapper à l’impôt sur le revenu, l’ISF, la TVA et aux droits de succession après 5 ans de résidence, elle est donc une véritable île de stars comme Johnny Hallyday ou Beyoncé. Le coût de la vie y est très élevé, ce dont pâtissent les milliers d’habitants de l’île. Le taux de scolarisation au-delà de 18 ans est très faible (11,2 %). Saint-Barthélemy ne compte que 17 % d’étrangerEs, principalement de riches Américains.
Port franc, Saint-Martin vit essentiellement du tourisme et est le paradis du shopping et de la détaxe. En concurrence avec la partie néerlandaise de l’île, les autorités locales ont baissé massivement les taxes. Cela n’a en rien amélioré la situation des habitants : le chômage y est très important, Un tiers de la population est étrangère, avec de nombreux immigréEs haïtiens et de Saint-Domingue, dont plus de la moitié en situation irrégulière. Face à cette situation, même le FMI avait tiré la sonnette d’alarme : en effet, toute la région investit principalement dans les activités touristiques et se prive de revenus cruciaux à coup de concurrence fiscale. En octobre 2016, le FMI mettait en garde contre le coût du changement climatique pour la région caraïbe. Il indiquait que « les dommages économiques des ouragans pourraient être sous-estimés de 38 à 72 % » par les autorités de la région. Il recommandait aux autorités régionales « d’adapter les infrastructures de façon qu’elles résistent à des conditions plus intenses que prévu », à développer des systèmes d’alarme et adapter les codes de construction. Évidemment l’État français n’en a jamais tenu compte. En tout cas, dans les deux îles, et particulièrement à Saint-Barthélemy, un luxe inouï côtoie une grande misère.
Comment la visite de Macron a-t-elle été perçue ?
Macron a été reçu avec scepticisme et hostilité. Il a fait des promesses, mais des anecdotes significatives en montrent les limites. Ainsi, pour l’évacuation des populations vulnérables, l’État s’est très vite désengagé à Saint Barth, et la préfecture de Saint-Martin a réquisitionné le premier bateau qui a pu quitter l’île pour transporter des touristes étatsuniens et français, laissant dans l’attente et la détresse des malades et des enfants. Les prix des denrées de première nécessité ont considérablement augmenté. Les populations livrées à la rapacité des capitalistes ! La situation est d’autant plus dramatique que déjà se profile Maria, un nouvel ouragan. Le véritable soutien aux sinistrés vient de la solidarité qui s’est manifestée tant à la Guadeloupe qu’à la Martinique.
Propos recueillis par Yvan Lemaître