Déjà bien mal en point après 22 ans de répression poutinienne, allant de la criminalisation de toute action critique du pouvoir à l’emprisonnement et l’assassinat d’opposantEs, l’opposition russe a dû faire face à une violence redoublée après le début de l’invasion en Ukraine.
Aussi précaire et faible que soit cette résistance, cela ne signifie pas impuissance et encore moins que le rejet de Poutine ne soit pas une réalité travaillant souterrainement dans la population russe.
Les effets de la guerre pèsent sur de larges couches de la population, et notre responsabilité internationaliste est de soutenir toutes celles et ceux qui cherchent à donner forme à une alternative au néofascisme russe.
Une conscription russe qui ne dit pas son nom
La désertion, la prison ou l’exil constituent les seules voies pour se soustraire à une conscription qui ne dit pas son nom. Si la participation à la guerre permet aujourd’hui aux soldats russes d’obtenir des salaires en moyenne 8 fois plus élevés que le salaire moyen dans le pays, le risque pour leur vie reste énorme. Avec des estimations de 30 000 morts par mois sur le front, se battre pour la guerre de Poutine, c’est prendre une option sérieuse pour le cimetière.
Cette tension s’observe notamment dans les conditions contractuelles des soldats : il est impossible de quitter l’armée ou de mettre un terme à son contrat ; on ne connaît jamais l’endroit où l’on sera affecté ; les documents d’identité des soldats sont confisqués à leur arrivée en poste afin de les empêcher de quitter le pays.
Le recrutement des soldats se fait au moment du service militaire (à 18 ans). Les jeunes hommes se voient proposer un contrat pour aller au front. En cas de refus, ils sont envoyés dans les zones les plus critiques des territoires occupés (Zaporijia, Kherson) que le gouvernement considère comme des territoires russes.
Dans les faits, cela revient à une conscription obligatoire, visant en priorité les jeunes les plus précaires dans les petites villes, attirés par les salaires élevés et dans l’incapacité d’obtenir une exemption. Les conditions d’exercice des soldats sont particulièrement dures, soumises à un commandement qui n’hésite pas à sacrifier massivement leurs vies et à exercer la torture physique et psychologique en cas de désobéissance.
Désertion et opposition politique
Les chiffres de désertion des soldats sont le signe explicite de cette tension : entre 30 000 et 40 000 déserteurs rien que pour l’année 2023, selon Yuri Fedorov1. Un site de contre-propagande, L’adieu aux armes, a été créé par des jeunes déserteurs exilés, diffusant des contenus via un canal Telegram et une chaîne Youtube pour pousser à la désertion les soldats russes.
Récemment, trois figures de l’opposition russe en exil ont pu intervenir au Parlement européen. Ioulia Navalnaïa (la veuve d’Alexandre Navalny), Vladimir Kara-Mourza et Ilia Iachine (tous deux proches de Boris Nemtsov, assassiné en 2015), condamnés à de lourdes peines de prison pour avoir critiqué la guerre de Poutine en Ukraine, y ont tenu des discours forts. Ils ont insisté sur l’existence d’une opposition large à Poutine en Russie, mais qui ne trouve pas d’espace pour s’exprimer. Étant engagés dans un travail de propagande en Russie, iels ont rappelé que la meilleure chose à faire pour aider l’opposition russe était de soutenir les ukrainienNEs.
Combattre l’extrême droite poutinienne
L’alignement des États-Unis sur la Russie ne fait que rendre la chose plus urgente, avec le danger que représentent les forces d’extrême droite européennes pro-Poutine. Celles-ci sont en progression sur tout le continent et se trouvent pleinement alignées avec les stratégies de Poutine et de Trump. Cette déstabilisation interne est la menace la plus sérieuse qui pèse sur les peuples d’Europe. De ce point de vue, il est particulièrement inquiétant de voir des courants de la gauche européenne prétendre combattre l’extrême droite, tout en s’alignant sur les discours de celle-ci quand il est question de Poutine…
Elias et Gin Vola
- 1. « Les effectifs de l’armée russe après deux ans et demi de guerre en Ukraine », IFRI, Yuri Fedorov, novembre 2024.