Publié le Samedi 15 novembre 2025 à 09h00.

Tanzanie : Quand les balles remplacent les bulletins de vote

La présidente de ce pays d’Afrique de l’Est se maintient au pouvoir au prix d’une répression sans précédent, à la suite d’un simulacre d’élection.

Depuis l’indépendance, en 1961, la Tanzanie traverse la plus grave crise politique de son histoire, après la réélection contestée de Samia Suluhu Hassan. On parle désormais de milliers de morts, une estimation corroborée par des sources diplomatiques.

Politique de terreur

Comme dans bien d’autres pays du continent, les deux principaux opposants ont été écartés du processus électoral. Tundu Lissu, dirigeant du parti Chadema, a été empêché de se présenter pour des arguties juridiques, tandis que Luhaga Mpina, dirigeant du parti ACT-Wazalendo, attend son jugement en prison, accusé de trahison — un délit ne permettant pas de libération sous caution.

Dans toutes les grandes villes du pays, des manifestations massives ont eu lieu pour dénoncer ce simulacre d’élection. Les forces de l’ordre ont, à maintes reprises, tiré à balles réelles. Les premières vidéos publiées après la réouverture d’internet montrent des rues jonchées de cadavres. La police tente d’effacer ces preuves en envoyant des SMS menaçant quiconque diffuserait des témoignages sur ce bain de sang.

Après les élections, les exactions se poursuivent. Des membres de la sécurité se rendent la nuit au domicile de citoyenNEs soupçonnéEs d’avoir pris parti contre la présidente pour les exécuter. Même certaines figures importantes du parti au pouvoir, le CCM, comme Humphrey Polepole, ont disparu après avoir émis des critiques sur la ligne politique en cours.

Un pouvoir isolé

Samia Suluhu Hassan, alors vice-présidente, a accédé au pouvoir après la mort soudaine du président John Magufuli. Les premiers temps de son mandat avaient été marqués par une relative ouverture de l’espace public. Mais, très vite, les pratiques autoritaires, puis ouvertement dictatoriales, ont pris le dessus, au moment où les partis d’opposition, ­notamment le Chadema, gagnaient en popularité.

La férocité de la répression illustre la fragilité du régime Hassan, dont le seul véritable soutien demeure, jusqu’à maintenant, l’armée et les forces de police. Son prédécesseur, bien que peu démocratique lui aussi, n’avait jamais atteint un tel niveau de coercition. Magufuli conservait par ailleurs une certaine base sociale, en raison de ses discours anti-impérialistes et de sa politique économique souverainiste face aux multinationales britanniques et canadiennes du secteur minier. Ses mesures contre la corruption et le gaspillage budgétaire lui avaient également valu une certaine sympathie populaire.

Samia Suluhu Hassan, au contraire, mène une politique économique libérale destinée à améliorer le « climat des affaires » et à attirer les investisseurs étrangers en favorisant le secteur privé. Son autoritarisme brutal lui a valu, dans la rue, le surnom d’« Idi Amin Mama », en référence à Idi Amin Dada, le dictateur sanguinaire ougandais des années 1970. C’est dire la popularité de cette présidente, officiellement élue avec… 98 % des voix.

Paul Martial