Entretien. Zang Nézouné Mahamat est chargé d’enseignement à Paris 1, président de l’Amicale Panafricaine et opposant de longue date au régime d’Idriss Déby au Tchad. Nous l’avons interviewé pour comprendre les enjeux du « dialogue national » qui se déroule depuis un mois dans la capitale N’Djaména.
Dans quel contexte se déroule le « dialogue national inclusif et souverain » (DNIS) ?
Le DNIS est une très ancienne revendication de l’opposition démocratique et des rébellions armées.
Lors de son accession au pouvoir (avril 2021) par une forme anti-constitutionnelle, le fils du dictateur Idriss Déby Itno a promis d’instaurer ce DNIS.
Une transition de 18 mois renouvelable une fois est alors mise en place, dirigée par un Conseil militaire de transition (15 généraux ayant tous servi sous la dictature) avec à sa tête le fils du défunt tyran, Mahamat Idriss Déby. Cette transition militaire avec un gouvernement civil comprenant certains partis politiques de l’opposition est contraire à la charte du 30 janvier de l’Union Africaine.
La junte démarre son règne de manière brutale et sanglante, elle a été cependant adoubée par Emmanuel Macron, présent aux obsèques d’Idriss Déby Itno. Des manifestations organisées par des groupes politiques, des associations de défense des droits humains, des organisations syndicales ont été violemment réprimées (huit morts et plus de 500 arrestations), ses responsables ont été arrêtés.
Quant au système économique et financier, il est totalement désorganisé. L’État est incapable d’assurer ses fonctions traditionnelles. La politique sanitaire est quasi inexistante. Les hôpitaux sont de véritables mouroirs. L’enseignement est à son niveau le plus bas. Une défaillance qui profite à différentes organisations intégristes musulmanes qui distillent leur venin. Sans parler des détournements des deniers publics et de la corruption qui sont systémiques.
Un pré-dialogue a eu lieu avec les politico-militaires à Doha au Qatar de mars à août. Quel bilan peut-on en tirer ?
Ce pré-dialogue a rassemblé 52 organisations politico-militaires pas toujours représentatives, le gouvernement et des personnes ressources. Un accord a été signé le 8 août, en présence d’organisations internationales, entre le gouvernement tchadien et 32 mouvements politico-militaires. Le FACT (Front pour l’alternance et la concorde au Tchad), le plus important militairement, n’a pas signé ce document. Le bilan est mitigé dans la mesure où les mouvements politico-militaires, naturellement méfiants, ont montré leur bonne volonté mais le gouvernement a renvoyé toutes les questions importantes au DNIS.
Des organisations refusent de participer au DNIS, notamment le parti les Transformateurs et la coalition Wakit Tama. Quels sont les arguments qu’ils évoquent ?
Plusieurs organisations et partis politiques ont posé des préalables à leur participation au DNIS mais ne sont pas opposés à son principe. Les organisations suivantes : les Signataires de la déclaration du 19 mai (10 partis politiques et la coalition Wakit Tama) et le parti les Transformateurs ont des revendications fondées et légitimes (révision des quotas de participation au DNIS, égalité de représentation entre gouvernement et opposition réelle, non-inéligibilité des dirigeants de la transition aux prochaines échéances électorales, jugement des auteurs d’actes criminels, cessez-le feu généralisé, libération des prisonniers de guerre de part et d’autre).
Quel rôle joue la France dans le processus de dialogue ?
Le gouvernement français soutient depuis le début la junte au pouvoir : aide financière, coopération militaire (formation et fourniture de matériel), survol des forces du FACT et transmission des informations à la junte. L’actuel ambassadeur de France rencontre très régulièrement le fils Déby et lui sert de « conseiller ». L’ancien ambassadeur de France au Tchad était présent et actif à Doha depuis le début du processus du pré-dialogue. L’implication des autorités françaises est totale.
Quel est ton sentiment sur ce dialogue, simple manœuvre pour garder le pouvoir ou authentique volonté de rénovation de la vie politique au Tchad ?
Je ne suis personnellement pas très optimiste. Les critères de désignation des participants n’ont jamais été rendus publics : on est resté sur des bases floues. Le présidium du DNIS n’a pas été élu contrairement à la Conférence nationale souveraine de 1993. On ne sait toujours pas à ce jour qui aura le droit de vote parmi les quelque 1 400 participants. Qui sera chargé d’appliquer les résolutions et décisions qui seront prises ? Comment seront choisis les membres du gouvernement de transition ? Le chef de la junte pourra-t-il se présenter à la future élection présidentielle ?
Je doute de la volonté de la junte de vouloir aller vers une authentique rénovation et/ou refondation de la vie politique au Tchad. Les Signataires de la déclaration du 19 mai avaient demandé une suspension des travaux du DNIS afin de trouver un accord permettant de les associer à ces assises. Ils ont reçu une fin de non-recevoir. Cela démontre la volonté du clan Déby de conserver le pouvoir, quel qu’en soit le prix pour le peuple tchadien.
Sans une réelle consultation nationale inclusive, rien ne peut endiguer l’appareil de gouvernance mis en place par le CMT après le coup d’État anticonstitutionnel du 21 avril 2022.
Propos recueillis par Paul Martial