Le 9 avril 1938, dans les rues de Tunis, l’armée française réprimait dans le sang une manifestation pour le droit à l’autodétermination du peuple tunisien. Depuis, l’événement est commémoré tous les ans. Cette année, la manif qui réclamait en particulier l’indemnisation des blessés de la révolution de 2011 a été réprimée par la police tunisienne avec l’aide des milices d’Ennahdha : sous prétexte d’une agression salafiste dans l’avenue Bourguiba quelques jours plus tôt, le ministère de l’Intérieur a décidé d’interdire et réprimer toute manifestation sur cette artère emblématique de la capitale. Deux jours plus tôt, la répression sanglante de la manifestation des diplômés chômeurs, au même endroit, a choqué la population : elle avait causé plus de 50 blessés. Quelques jours plus tard, ce sont les arrestations musclées de chômeurs dans la ville voisine de Radès qui ont suscité l’indignation : leur seul tort était d’avoir organisé des sit-in pour dénoncer l’inertie du gouverneur islamiste qui a promis des emplois aux jeunes chômeurs. Pendant les arrestations, des enfants et des personnes handicapées ont été attaqués à l’intérieur même de leurs domiciles, agressés physiquement et asphyxiés par les gaz lacrymogènes.
Dans le bassin minier, les résultats des concours de recrutement à la Compagnie des phosphates ont encore une fois provoqué la colère populaire : trop peu de postes ouverts, toujours pas de prise en compte des critères sociaux, népotisme… ici non plus, le départ de Ben Ali et de ses proches n’a rien changé à la dure réalité que vivent les familles : chômage, précarité, pauvreté… et un déchaînement policier digne de l’ancien régime. Alors les réactions n’ont pas tardé et la population exprime massivement sa colère : l’activité de plusieurs villes est totalement paralysée, écoles et administrations fermées, routes coupées, et des affrontements violents avec la police.
Si par crainte d’une montée simultanée des mouvements de grève, le gouvernement s’est engagé à satisfaire les demandes de quelques secteurs tels que l’enseignement secondaire et supérieur, Ennahdha, plus généralement, n’opte plus que pour la violence et la répression.
Six mois après leur arrivée au pouvoir, les islamistes d’Ennahdha voient donc une colère massive et générale monter contre eux. Rien d’étonnant puisqu’en six mois peu de choses ont changé sur les problèmes de fond : le chômage, les salaires, la récupération des bien mal acquis des anciens dirigeants, ainsi que la non-traduction devant la justice des tortionnaires et pilleurs sous Ben Ali. L’inflation record a fini de révéler l’incapacité d’Ennahdha à répondre aux urgences sociales.
La rédaction de la nouvelle Constitution en est toujours quasiment au point de départ. Des débats interminables sur l’article 1 ont eu lieu pour savoir s’il fallait y introduire la charia ou pas. Ce ne sera finalement pas le cas, grâce aux mobilisations, mais l’ancien article est maintenu, présentant l’islam comme la religion officielle !
Ennahdha a laissé les salafistes sévir en occupant des universités, bloquant les cours, agressant étudiantEs et enseignantEs, ou encore en attaquant des magasins (notamment ceux connus pour vendre des boissons alcoolisées). Le gouvernement a aussi multiplié les attaques à la liberté de la presse : des journalistes ont été agressés par la police dans les manifestations, d’autres ont été traduits devant la justice pour un article critique, une photo de nu ou encore un film d’animation (Persepolis) diffusé à la télé.
Dans ce climat, les « destouriens » (héritiers de Bourguiba, en grande partie benalistes) s’organisent et tentent de résumer l’alternative politique à : islamistes ou destouriens. Ils risquent d’y parvenir si les forces de gauche et les militants révolutionnaires ne dépassent pas les illusions institutionnelles encore existantes, et surtout les divisions entre eux. Car les résistances populaires, certes nombreuses, restent trop éparpillées et peu organisées.
Commission Maghreb du NPA