Depuis 2011, les revendications sociales ne cessent d’alimenter la grogne un peu partout dans le pays, empêchant la stabilisation du régime. C’est en ce moment le cas de la région de Tataouine d’où est issue une grande partie de la production d’hydrocarbures.
Petite chronologie du mouvement
16 mars : face à cette pression, particulièrement intense dans la région, l’UGTT de Tataouine appelle à la grève générale du secteur pétrolier où de nombreux conflits ont eu lieu ces dernières années. Cette grève fait notamment suite au licenciement de 24 salariéEs par la société canadienne Winstar qui refuse par ailleurs de participer au développement économique et social de la région.
8 avril : des jeunes chômeurs exigeant notamment des créations massives d’emplois occupent les routes empruntées par les camions de pétrole. Ils appellent à la grève générale de toute la population pour le 11.
11 avril : toutes les activités sont bloquées à Tataouine, à l’exception de quelques boulangeries, des pharmacies et de l’hôpital régional. Les manifestants permettent à nouveau la circulation, sauf pour les camions des sociétés pétrolières.
23 avril : des milliers de jeunes organisent un sit-in illimité à proximité de la zone pétrolière protégée par les forces armées.
27 avril : lors de sa venue à Tataouine, le Premier ministre propose la création de 2 500 emplois précaires et mal payés, dont 500 immédiatement. Il est vivement contesté aux cris de « Travail, liberté et dignité » et doit être évacué en catastrophe.
7 mai : la population manifeste massivement pour soutenir les sit-ins.
16 mai : une nouvelle proposition du gouvernement inclue notamment l’embauche de 1 500 personnes par les sociétés pétrolière et 2 000 emplois précaires dans d’autres activités. Une partie des jeunes mobilisés juge ce compromis acceptable. Une partie le juge insuffisant et continue à bloquer l’exploitation pétrolière.
20 mai : malgré des tirs de sommation de l’armée, les manifestants réussissent à mettre à l’arrêt la principale station de pompage de gaz du Sud tunisien ! Du jamais vu depuis le début de l’exploitation des hydrocarbures dans la région il y a plus d’un demi-siècle.
Revendications et auto-organisation
En plus de la création immédiate d’emplois, les manifestants veulent obliger les sociétés pétrolières et gazières à verser 20 % de leur profits à une caisse chargée du développement économique de la région. Cette dernière mesure est catégoriquement refusée par le gouvernement néolibéral de coalition, constitué essentiellement d’islamistes d’Ennahdha et de certains notables de l’ancien régime.
La nationalisation des ressources naturelles à l’ordre du jour. Même si elle ne fait pas partie de la plateforme revendicative, cette question est posée par de nombreux manifestants. « Sur des milliers de postes crées pour exploiter les hydrocarbures, seules quelques centaines sont attribués aux jeunes de Tataouine. Les sociétés étrangères agissent comme si la Tunisie était encore colonisée. »
Depuis des années, le gouvernement fait des promesses ou signe des accords qu’il ne respecte pas. Cette fois-ci, les jeunes chômeurs sont bien décidés à ne pas se faire avoir une nouvelle fois. L’un d’entre eux explique : « En 2013, après des mois d’occupation de la place centrale de la ville, on nous a baratineś avec une dizaine de postes dans un chantier appartenant à la présidente du syndicat patronal. Les contrats, sans couverture sociale, ont pris fin au bout de six mois », explique l’un des jeunes mobilisés. Il assure que, cette fois-ci, « Ni la société civile, ni les partis politiques, ni l’UGTT ne négocieront à notre place. »
Pour cette raison, chaque décision est prise après un vote effectué au niveau de chaque sit-in, puis au niveau de leur coordination. L’un de ses membres explique : « Nous essayons de rester transparents et de respecter la volonté de chaque sit-inneur. Cela est possible à travers les votes et les concertations entre nous. Nous passons tout notre temps à discuter de tous les détails de nos demandes et des solutions que nous proposons au pouvoir. »
Malgré sa radicalité, le mouvement bénéficie d’un soutien populaire assez large dans tout le pays.
Dominique Lerouge et Fathi Chamkhi
Documents sur cette lutte disponibles sur www.europe-solidaire.org