Après de longs et intenses marchandages et négociations, l’Union européenne et la Turquie sont parvenus à un accord le 7 mars à Bruxelles pour trouver une solution face à la crise des réfugiés et à l’afflux massif de Syriens dans les pays européens.
Selon les informations actuellement disponibles, la Turquie aurait demandé 3 milliards d’euros en contrepartie de son contrôle de la circulation maritime dans la mer Égée et du flux des réfugiés à destination de l’Europe. Le marchandage indique que l’Union Européenne recevrait un réfugié syrien pour chaque migrant qu’elle expulserait vers la Turquie.
Les dirigeants de l’Union européenne pensent ainsi pouvoir contenir les réfugiés en provenance de Turquie, et choisir parmi la population syrienne les plus acceptables pour eux. Mais il n’est pas difficile de prévoir que les flux de réfugiés illégaux de la Turquie vers les pays européens se poursuivront. La « porte fermée » instituée par la Turquie à la frontière syrienne depuis mai 2015 n’a pas empêché les Syriens de se déplacer.
Les réfugiés savent qu’ils n'ont pas d’avenir en Turquie, où ils ne disposent même pas d’un statut de réfugié (leur statut juridique en Turquie est celui de « demandeurs d’asile temporaires », en d’autres termes, des « invités » comme s’ils avaient une maison pour revenir en arrière). C’est pourquoi ils veulent tous aller en Europe, là où ils pensent pouvoir avoir des emplois, des logements, au moins un statut juridique. La fermeture des frontières, l’augmentation des forces répressives pour les contrôler, et le financement de la Turquie pour servir de gardefrontière de l’Europe n’empêcheront pas les gens de venir. Cela ne fera que rendre leurs routes plus chères, plus dangereuses – souvent mortelles – et plus vulnérables aux trafiquants d’êtres humains.
Le but de la négociation de Bruxelles n’était pas d’améliorer les conditions de vie des plus de 2,5 millions de réfugiés en Turquie et du million de réfugiés qui à ce jour ont traversé l’Europe. Le but était pour l’Europe de résoudre la crise des réfugiés, avec en retour quelques concessions données à la Turquie.
MigrantEs : le drame au quotidien
La Turquie a pendant une longue période ouvert la porte, acceptant une grande partie de la population syrienne. Mais en dépit de la nouvelle loi sur la migration adoptée en 2014, ni les Syriens ni les autres groupes de migrants ne se sentent en sécurité. La plupart d’entre eux travaillent de façon illégale dans des conditions terribles, avec des salaires incroyablement bas, il y a un problème de logement énorme (seulement 10 % des réfugiés vivent dans les camps), le taux de scolarisation est très faible chez les enfants et les jeunes, et les discriminations visant les femmes importantes. Dans le texte de Bruxelles, rien n’est prévu pur améliorer cette situation dramatique.
En échange de ce marchandage, l’Union européenne promet l’amélioration des relations de gouvernement à gouvernement, aux Turcs de voyager en Europe sans visa, l’amélioration des relations avec l’Union européenne, et des mesures dans le cadre des négociations d’adhésion à l’Union européenne. Des promesses dérisoires au moment de la crise des réfugiés...
Ce que les dirigeants sont en train de réussir, c’est à la fois de créer actuellement une atmosphère de peur tout en nous donnant de faux espoirs pour un avenir meilleur. De notre côté, pourquoi ne pas commencer par discuter et agir contre les violations des droits de l’homme en Turquie, sur la situation des minorités, des femmes, des LGBTI, des migrants, contre les attaques des villes kurdes, la corruption, le manque de justice ? Et oui, il nous faut discuter de la troisième explosion d’une bombe dans la capitale de la Turquie il y a quelques jours. L’enjeu est bien la montée de la xénophobie et de l’islamophobie dans toute l’Europe, et la montée du nationalisme et du conservatisme en Turquie. L’urgence est de tisser des canaux de solidarité et de mettre la pression sur ceux qui sont responsables de ce gâchis.
D’Istanbul, Sanem Öztürk
(Traduction de Jean-Claude Vessillier)