Si le mensonge d’État fut un élément important de la constitution de l’idéologie dominante, cela nécessitait un strict contrôle sur les moyens de communication, ce qui aujourd’hui s’avère de plus en plus difficile, en raison entre autres de l’importance croissante des réseaux sociaux...
Mais apparemment, le fait d’être sans cesse démenti ne pose pas de problème, ni pour le gouvernement turc ni pour « le palais » (Erdogan), qui multiplient chaque jour leurs tentatives de refaçonner la réalité selon les intérêts immédiats de l’État turc sunnite-autoritaire. Si cette « réalité parallèle » ne convainc ni l’opposition intérieure turque et kurde ni les impérialismes occidentaux et les États rivaux engagés dans le conflit syrien, elle semble avoir l’effet d’une démonstration de force qui conforte l’opinion publique conservatrice : « Nous avons le pouvoir de recréer la réalité »...
La dernière séquence de cette réalité parallèle est le conflit entre l’armée turque se trouvant à Bashika (près de Mossoul) et les bandes de l’État islamique à la suite de l’attaque menée par celles-ci la semaine dernière. Et Erdogan de préciser, pour ceux qui n’auraient pas compris l’objectif du mensonge : « Ceci montre combien notre décision de ne pas retirer notre armée de Bashika est justifiée .» En effet, la Turquie avait déployé ses forces militaires dans cette région sans l’autorisation du régime irakien et avait été sommée par le Premier ministre Ibadi et les États-Unis de retirer ses troupes. En fait, le conflit se déroulait entre les forces irakiennes soutenues par les frappes des États-Unis et Daesh sans la participation de la Turquie…
Évidemment, pour les idéologues de l’AKP, le parti au pouvoir, c’est un gros boulot de se repositionner après chaque déclaration d’Erdogan et des porte-parole du gouvernement, afin de légitimer et « éclairer » le sens véritable de leur propos. Quelles pirouettes n’ont-ils pas dû effectuer afin d’expliquer qu’Erdogan avait voulu montrer dans une déclaration récente le régime présidentiel d’Hitler comme un mauvais exemple…
Jusqu’où ?
Mais ce qui devient de plus en plus difficile est de cacher le véritable massacre perpétré par l’État au Kurdistan de Turquie. Des quartiers entiers, ou plutôt ce qu’il en reste, sous couvre-feu total depuis plus d’une cinquantaine de jours, en proie à la famine, sont véritablement assiégés par les tanks de l’armée turque. Même les drapeaux blancs ne suffisent plus à sortir dans la rue sans risquer de se faire tuer, afin de récupérer les cadavres d’enfants, de femmes, de civils et de jeunes miliciens kurdes, adolescents pour la plupart, convaincus de la nécessité de protéger leur quartier, leur peuple au prix de leur vie…
Le palais d’Erdogan s’enfonce graduellement dans une aventure militaire au niveau national et régional, dont la sortie se fait de plus en plus improbable. C’est dans une perspective internationaliste et anti-impérialiste, que nous, militants révolutionnaires, devons nous opposer au chaos qui s’affirme chaque jour dans le Moyen-Orient, sans tomber dans le piège du campisme. Ainsi que nous l’avons affirmé récemment dans une déclaration commune signée par OpenLeft Collective (Russie) et Yeniyol (Turquie) : « Sous les tensions et circonstances régionales, nous, marxistes révolutionnaires de Russie et de Turquie, disons non aux politiques agressives, aux ambitions, interventions et attaques militaires de nos gouvernements, que ce soit en Syrie, au Kurdistan ou en Ukraine . Il est plus important que jamais de d’élever nos voix et nous opposer à la guerre et la domination militariste et nationaliste ».
D’Istanbul, Uraz Aydin