Publié le Jeudi 20 avril 2017 à 14h38.

Turquie : « Non, ce n’est pas fini, le combat continue »

Des milliers de manifestantEs scandaient ce slogan, défilant dans les rues des quartiers « oppositionnels » d’Istanbul, d’Ankara et d’Izmir dans la nuit du 16 avril pour dénoncer l’illégitimité des résultats du référendum...

Selon les résultats annoncés par le Conseil supérieur électoral pour ce référendum critique, le oui obtenait 51,4 % contre 48,4 % pour le non. 

La grande manip...

Ces résultats sont toutefois fortement contesté par le CHP de centre gauche et principal parti de l’opposition et le HDP réformiste de gauche lié au mouvement kurde. Mis à part les diverses irrégularités auxquelles l’AKP a souvent recours, cette fois-ci, c’est directement le Conseil supérieur électoral qui a décidé – au milieu de la journée du référendum – que les bulletins de vote et les enveloppes ne comportant pas le sceau officiel seraient quand même acceptés, tant qu’il n’est pas prouvé qu’ils sont apportés de l’extérieur... 

La plupart des bulletins de vote non tamponnés semblent avoir été utilisés dans le sud-est du pays, dans la région kurde. Cependant alors que plusieurs vidéos de votes oui en bloc effectué par des responsables d’urnes circulent sur les réseaux sociaux, des exemples frappant sont donnés par les partis de l’opposition, comme ces 60 villages liés à la ville d’Urfa où, contre un total de 13 067 bulletins pour le oui, seulement 58 en faveur du non sont sortis des mêmes urnes...

La direction du HDP a annoncé qu’il y aurait une manipulation de 3 à 4 %, et le CHP et le HDP vont déposer des recours concernant 60 % des urnes. 

Malgré tout, les résultats du oui sont loin de ce qu’espérait le bloc islamo-nationaliste formé par l’AKP et le MHP. Tout d’abord le non l’a emporté dans les trois plus grandes villes que sont Istanbul, Ankara et Izmir, les deux premières étant administrées par des mairies AKP. De plus, dans des quartiers très conservateurs d’Istanbul comme Uskudar ou Eyup, c’est encore le non qui est sorti des urnes. Si la coalition du oui a obtenu une hausse de 2,5 % dans l’Anatolie profonde par rapport aux élections du 1er novembre 2015, elle a essuyé une perte de 10 % dans la région Marmara qui est décisive en raison de sa forte population, et de 15,5 % sur la côte méditerranéenne. Il est indiscutable qu’un amendement constitutionnel concernant un changement de régime ne peut s’effectuer avec le soutien de seulement la moitié de la population.

Un vote sous pression

Cependant dans les villes administrées initialement par le DBP (parti frère du HDP), dont la plupart ont été mises sous tutelle, même s’il fut vainqueur, les résultats officiels du non ont baissé, comparés à ceux de 2015. Les intellectuels organiques de l’AKP se sont précipités pour en déduire une baisse dans le soutien au mouvement kurde. Nous aurons certainement des analyses plus détaillées pour permettre de voir si il y a eu un glissement réel de vote, mais rappelons quand même que le Kurdistan de Turquie a subi ces vingt derniers mois de véritables massacres, destructions de villes et un déplacement forcé de 500 000 personnes. De plus, 13 des députés du HDP (dont ses coprésidents) et plus de 80 maires sont derrière les barreaux. De nombreux cas d’éloignement forcés des assesseurs du DBP des bureaux de vote par la gendarmerie et les militaires ont été signalés. C’est dans de telles conditions que la campagne et le vote s’y sont déroulés...

Même si ce n’est pas du même ordre, nous devons aussi rappeler que le référendum dans l’ouest du pays s’est déroulé dans le cadre de l’état d’urgence (et ce n’est pas parce que c’est le cas aussi en France que cela devient acceptable !), avec une forte répression et criminalisation envers les forces pour le non lors de la campagne et une mobilisation de tous les moyens de l’État en faveur du oui. Et la première mesure du pouvoir, au lendemain du vote, a été de prolonger l’état d’urgence...

Malgré cela, les partisans du non avaient relevé le défi. Et comme on le voit depuis deux soirs dans les rues, les forces du non ne sont nullement démoralisées : elles sont fières d’avoir mené une campagne intelligente et audacieuse, et, dotées d’une légitimité morale, semblent prêtes à résister face un changement illégitime du régime.

D’après Erdogan, le non n’aura peut-être pas gagné, mais il est manifestement victorieux !

D’Istanbul, Uraz Aydin