Si en Euskadi le mois de mars s’est achevé par l’Aberri Eguna, fête nationale basque ayant lieu le dimanche de Pâques, le mois d’avril s’est ouvert avec le procès des deux artisans de la paix : Jean-Noël « Txetx » Etcheverry, militant abertzale (indépendantiste), fondateur de Bizi ! et d’Alternatiba, et de Béatrice Molle-Haran, militante abertzale et journaliste à Mediabask.
Leur crime ? Avoir participé le 16 décembre 2016 à Louhossoa à une opération de neutralisation d’une dizaine de caisses d’armes et d’explosifs issus de l’arsenal d’ETA (Euskadi ta Askatasuna).
Un processus de paix à l’arrêt depuis 2011
Le 10 janvier 2011, ETA répondait aux déclarations de Bruxelles et de Guernica annonçant un cessez-le-feu « permanent », « général », « vérifiable par la communauté internationale » et un accord pour un scénario de paix et une solution démocratique pour l’autodétermination en Euskal Herria. Ce processus de paix marque la fin du conflit colonial ayant opposé ETA et d’autres organisations indépendantistes à l’État franquiste, puis à l’Espagne et à la France. D’autres engagements ont ensuite été pris par la communauté internationale le 17 octobre 2011 à Donostia lors de la conférence internationale d’Aiete, qui a eu lieu dans l’ancienne résidence d’été de Franco. ETA répond favorablement à cette initiative et annonce le 20 octobre 2011, l’arrêt définitif de la lutte armée, se déclarant prêt à négocier avec les gouvernements français et espagnols.
Cependant, le gouvernement de Mariano Rajoy rejette tout dialogue et toute tentative de médiation internationale, exigeant la dissolution d’ETA. Les gouvernements Fillon, Ayraut et Valls ne sont pas plus actifs dans le processus de paix. Tous ignorent l’action des exiléEs et prisonnierEs politiques et de la société civile basque.
Le 16 décembre 2016 : une accélération du processus de paix
Face à cet immobilisme, la réponse est venue de la société civile lors d’échanges entre Txetx Etcheverry, Michel Tubiana (ancien président de la Ligue des Droits de l’Homme), Michel Berrocoirigoin (ancien président de la chambre d’Agriculture alternative du Pays Basque) et Mizel Bergougnian (militant abertzale) ‑ les 3 derniers étant décédés depuis ‑ et ETA pour neutraliser son l’arsenal. Début 2016, la commission internationale de vérification des stocks d’armes avait pu faire un inventaire des armes et explosifs d’ETA avec son accord, mais les caches d’armes restaient dans la nature. Ces échanges par courrier entre ETA et les artisans de la paix de mars à novembre 2016 amorcent l’opération du 16 décembre 2016 : la neutralisation de 15 % de l’arsenal d’ETA. Elle a lieu et est filmée dans la maison de Béatrice Molle-Haran, présente lors de l’opération, mais l’intervention du RAID mettra un coup d’arrêt à leur action. Le but des artisans de la paix ? Forcer les États français et espagnol à agir et aider la société civile dans la démilitarisation d’ETA, pour avancer dans le processus de paix en Euskal Herria.
Malgré leur arrestation, les artisans de la paix maintiennent leur objectif. Les élus et la société civile basque se mobilisent, et le 8 avril 2017, les militantEs remettent aux forces de l’ordre le reste de l’arsenal connu réparti en 8 caches avec l’accord du Premier ministre Bernard Cazeneuve, du ministre de l’Intérieur Matthias Fekl et du parquet. Alors que deux derniers reliquats seront récupérés en février et avril 2018, ETA reconnaît dans son communiqué du 8 avril que seule « une solution démocratique du conflit politique permettra de construire la paix et d’obtenir la liberté au Pays basque », et annonce le 3 mai : « ETA est née du peuple et se dissout à présent en lui ».
Une paix à l’arrêt et des artisans de la paix devant la justice
Depuis, la société civile basque continue de se mobiliser pour son indépendance, la libération ou le rapprochement des prisonniers politiques basques, l’enseignement de l’euskara (langue basque) et la sauvegarde de la culture basque. EH Bildu, le parti de gauche abertzale est arrivé en tête des municipales et des législatives de 2023, et l’Euskara est devenu une des langues officielles de l’Espagne. Mais la répression continue.
Txetx Etcheverry et Béatrice Molle-Harran ont comparu les 2 et 3 avril devant le parquet antiterroriste. La procureure demande respectivement deux ans et un an de prison avec sursis reprochant aux artisans de la paix d’avoir transporté et caché des armes, mais surtout d’avoir agi dans le projet d’ETA. Pendant que la société civile se mobilise pour les soutenir en attendant le verdict du 17 mai, EH Bildu fait campagne pour remporter les élections du Parlement de l’autonomie basque, le 28 avril.