Après avoir soutenu la campagne de Donald Trump, l’entrepreneur aux idées libertariennes et techno-solutionnistes Elon Musk continue à multiplier les ingérences sur la sphère politique internationale en appuyant les courants de l’extrême droite européenne.
À la tête de plusieurs entreprises telles que Tesla, SpaceX ou encore X, il semble développer une stratégie politique d’influence et d’alliances de plus en plus réactionnaires. Avec un investissement de 100 millions de dollars, le plurimiliardaire Elon Musk est l’un des plus gros donateurs de la campagne de Trump. Ce soutien trouve une récompense politique immédiate dans sa nomination au nouveau ministère DOGE (Department of Government Efficiency), expressément créé pour Musk avec un clin d’œil à la cryptomonnaie Dogecoin, ce qui fait pressentir les politiques à la « tronçonneuse » qu’il pourra mener. Son idéologie mêle pensée libertarienne et répertoires identitaires, LGBTIpobes et virilistes, associés à une haine décomplexée du « wokisme ».
L’échec du néolibéralisme et l’avancée des droites extrêmes
Selon Romaric Godin, l’échec des politiques néolibérales menées depuis les années 1980 pourrait ouvrir la voie à une alternative libertarienne dont le laboratoire pourrait encore une fois se situer en Amérique latine1.
Divisée en plusieurs courants, l’option libertarienne promeut une généralisation de la logique du marché sur tous les aspects du vivre-ensemble et mène une lutte incessante contre l’État censé disparaître (dans les courants anarcho-capitalistes) ou être réduit aux seules fonctions régaliennes. Dans le cas de Musk, l’utopie libertarienne s’articule aux répertoires nationalistes-identitaires de l’extrême droite et à une vision techno-déterministe de la société. L’innovation technologique est à la fois un pilier qui permet d’aligner la puissance publique sur les principes de rentabilité et d’efficacité propres au secteur privé et un moyen de répondre, à une aspiration transformatrice dans laquelle la technologie serait salvatrice pour l’espèce humaine2. Cette composition hétéroclite lui permet de se présenter comme une alternative aux vieilles recettes des partis traditionnels.
Musk et son jeu d’alliances avec l’extrême droite européenne
L’option libertarienne de Musk et Milei pourrait donc apparaître comme une solution pour relancer l’accumulation du capital dans l’actuel contexte de crise. Le 29 décembre, l’homme d’affaire d’origine sud-africaine a signé dans le journal conservateur Welt am Sonntag une tribune en faveur du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) où il explique que l’Allemagne est « au bord de l’effondrement économique et culturel » et que l’AdD est le seul à pouvoir la sauver.
Son soutien au parti d'extrême droite Reform UK de Nigel Farage est aussi une source d’inquiétude pour les conservateurs.
En décembre 2023, invité à la fête Atreju de Fratelli d’Italia, le parti de Giorgia Meloni, Musk, accompagné de ses onze enfants, avait mis en garde l’Italie sur les dangers du « grand replacement » et conseillé de « faire plus d’Italiens pour sauver la culture italienne ».
L’arme du réseau social Twitter
Le grand danger d’Elon Musk est constitué par sa capacité à utiliser sa puissance économique pour biaiser le jeu démocratique.
Après un passage par Paypal où il fait fortune, il se tourne vers trois domaines stratégiques alliant nouvelles technologies et industrie lourde – Tesla (véhicules électriques), Neuralink (neurotechnologies) et SpaceX (astronautique) – avant de se lancer sur Twitter. Le point commun de ces projets : la logique de surveillance assurée par les activités d’extraction et de traitement des données liées à l’expérience humaine.
Selon certains observateurs, Twitter répond en effet bien plus à des enjeux politiques que économiques. Tandis que le projet d’en faire une super-application sous le modèle du chinois WeChat stagne, les transformations se concentrent bien plus sur le rétablissement des comptes d’extrême droite bannis, la volonté de réduire la modération ainsi que la certification payante à 8 dollars par mois sans contrôle d'identité. Depuis son achat, les polémiques se sont multipliées, et le débat sur X est de plus en plus brutal. Si les militants d’extrême droite rejoignent la plateforme, certains utilisateurs progressistes partent vers Threads, Mastodon ou Bluesky3.
Définis en tant que « boîtes noires », les algorithmes des réseaux socio-numériques amplifient certaines voix (Elon Musk a par exemple un statut de superutilisateur) tout en en invisibilisant d’autres. Ils segmentent et enferment les utilisateurs dans des contenus prescrits et personnalisés qui affaiblissent le débat public et fragilisent la notion même de « commun ». X est ainsi devenu un moyen essentiel pour la fachosphère.
Outre le danger que représente l’avancée de son idéologie et les activités de surveillance des populations et des arènes du débat public, la stratégie de Musk pourrait renforcer le pouvoir et l’influence géopolitique exercée par une poignée d’entreprises capitalistes monopolistiques.
Hélène Marra