Sous le titre: « Besancenot: l'homme sans solutions », l’hebdomadaire très libéral Challenges nous consacre un dossier dans son numéro du 5 février.
Pour cela, ils se sont appuyés sur des articles de Rouge, des déclarations d'Olivier Besancenot mais aussi sur deux tracts sortis sous la forme de quatre pages du NPA à propos des salaires et des licenciements (disponibles sur le site). Pour une fois qu'un journal s'attarde à « disséquer » nos revendications, prenons le temps de répondre à plusieurs de leurs remarques.
A l’intérieur du numéro les insultes pleuvent : « propositions irréalistes, ruineuses, délirantes ». Diable ! On s’attend à un dossier sérieux, argumenté, chiffré. On a pour l’essentiel une charge haineuse purement idéologique ou toute idée de politique différente ne peut être que « délirante ». Le capitalisme a beau être atteint au cœur, la vieille rengaine popularisée par Margaret Thatcher, Tina, « There is no alternative » est toujours au fronton des défenseurs du système.
Première série de critiques contre le NPA, celles (les plus nombreuses) qui relèvent de postures idéologiques d’autant plus fortes qu’elles sont présentées comme frappées au coin du bon sens. Ainsi, toute remise en cause de la prédominance de la propriété privée est « délirante ». Ceci concerne des mesures phares du plan d’urgence du NPA, comme la constitution d’un service public bancaire unique, le contrôle des prix, le service public du logement, de l’eau (sur lequel il y a un petit mensonge, puisqu’au NPA on n’exclut pas la municipalisation, de même d’ailleurs concernant la propriété des sols qui n’est pas abordée par le journal). Ici la critique ne tient nullement au prix que ça pourrait coûter, mais au mode d’administration. Donc, la critique est purement idéologique : on reviendrait ainsi à l’économie administrée, dont toute personne sensée devrait admettre qu’elle conduit au désastre. Exit la possibilité même d’une autre voie que le capitalisme ou que le pouvoir donné à une minorité de bureaucrates. Impossible de penser même une socialisation des grands moyens de production sur une base autogestionnaire. Le verdict est donné avant même le procès. On pourrait pourtant penser une gestion reposant sur une base démocratique. Laquelle associerait les travailleurs du secteur concerné ; les utilisateurs (représentés le cas échéant soit par les délégués des autres entreprises autogérées liées en amont ou en aval, ou alors par les syndicats et associations populaires, ou les deux ) et enfin des représentants de la collectivité élue concernée – mairie, région, Etat. Dans tous cas, cela aboutirait à un conseil d’administration élu, à des dirigeants choisis par ce conseil, tout ceci étant révocable selon des procédures propres à chaque type de représentation.
La deuxième série de critiques concerne toutes les propositions visant à revenir sur la contre-révolution libérale initiée dans les années 1980, celle-là même qui a conduit à la succession de crises qui ont secoué le système, dont l’actuelle, de loin la plus grave. Cela concerne le contrat de travail (« délirant » pour le journal de généraliser le CDI), les exonérations systématiques de charge pour les capitalistes – dont on devrait connaître les effets nuls sur l’emploi après tant d’années – , la défense des droits aux retraites, le retour à un impôt sur les sociétés tel qu’il était il y a à peine quelques décennies… La critique n’est pas tant ici que ça coûte trop (il s’agit de purs transferts et du renforcement du salariat face au capital), mais que, par définition, ce serait impossible à réaliser du fait que nous sommes dans une économie ouverte et concurrentielle. On tourne en rond : évidemment, si on accepte ce cadre, plus rien n’est possible. Le problème est là non pas économique, mais politique. La position de Challenges revient à dire : « l’anticapitalisme ? Vous n’y pensez pas, les capitalistes ne voudront jamais ! »
Mais surtout ce que Challenges ne comprend pas c’est que nous n’avons pas vocation à proposer un énième plan de relance de l’économie pour sauver le capitalisme. Nos revendications ne sont pas, à coups de milliards, la « version gauche » d’une sortie de crise, mais des revendications faites pour que la population ne paie pas les pots cassés de cette crise globale du système.
Par ailleurs, nos principales revendications sont antérieures à la crise : nous faisons les frais de ce système d’inégalités depuis qu’il existe !
Pour élaborer nos propositions, nous ne partons pas de ce qui serait « réaliste » dans les limites fixées par ce système, mais de ce qui nous semble aujourd’hui essentiel pour que le monde du travail dans son ensemble (salariés, retraités, chômeurs, précaires, jeunes, petits paysans, etc…) puisse vivre et non survivre. A travers nos revendications, nous faisons la démonstration que les moyens existent largement pour permettre à toutes et tous de vivre bien.
Ainsi, contrairement à Challenges, à nos yeux, ce n'est pas d’augmenter les salaires de 300 euros nets ou d’assurer qu’aucun revenu soit inférieur à 1 500 euros nets par mois en prenant sur les profits qui est « délirant », mais que 600 000 retraités vivent avec le minimum vieillesse, que des étudiants fassent la queue à la soupe populaire ou que des travailleurs doivent dormir dans leurs voitures.
Ce ne sont pas nos propositions de créer un service public bancaire unique sous contrôle de la population ou bien d’assurer la gratuité des transports en commun qui sont ruineuses, mais de continuer de verser à fonds perdus 32 milliards d'aides aux entreprises sous couvert de politique de l'emploi (afin que celles ci puissent continuer à licencier en toute impunité !), que les niches fiscales s'élèvent à 73 milliards d'euros et permettent aux 100 000 ménages les plus fortunés de France de payer moins d'impôts, voire de ne pas en payer du tout. Ce qui est « ruineux » c'est le nouveau cadeau de 7,8 milliards d'euros aux patrons de l'automobile afin de laisser ceux ci continuer à arroser les actionnaires et faire payer la note aux salariés !
Pour nous, ce qui est « irréaliste », c’est de ne pas remplacer un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique, en laissant par exemple les hôpitaux se dégrader à vitesse grand V. Oui, nous sommes pour embaucher un million de salariés dans les services publics. Ce serait possible en ne remboursant pas les intérêts de la dette à des banques à qui l’Etat vient d’accorder des milliards en pagaille.
En fait, ce qui est "délirant", "ruinant", c'est qu'une poignée de spéculateurs, boursicoteurs puisse plonger l'humanité toute entière dans un désastre social, alimentaire, écologique, qui va se traduire par des dizaines de millions de chômeurs de plus, des centaines de millions d'enfants, de femmes, d'hommes qui vont souffrir de la faim.
La mesure la plus emblématique, et qui soulève l’ire du journal est celle de l’interdiction des licenciements. Rappelons donc quelle est la nature de la proposition. Elle ne coûte pas un centime si les entreprises concernées font du profit (il s’agit alors de limiter celui-ci). Si elles annoncent des déficits, encore faut-il que ceux-ci soient réels, et pas créés par des mouvements entre secteurs de la même multinationale. La question est semblable si le déficit concerne des sous-traitants (lesquels, la plupart du temps, ne dépendent que d’un seul gros donneur d’ordre). La vérification de ceci suppose la transparence absolue des comptes, donc le contrôle par les travailleurs de ceux-ci et la fin de l’épaisse opacité de la gestion capitaliste. Une très grande partie de l’emploi salarié privé serait couvert par ces mesures. Pour le reste, qui nous est si souvent opposé (une petite entreprise de plomberie qui connaîtrait des difficultés) il faudrait combiner deux types de mesures. La première est une ré-orientation du crédit que permettrait la maîtrise publique avec une banque unique socialisée. La seconde serait la constitution d’une quatrième branche de la sécurité sociale pour couvrir ces risques, financée par le seul patronat. Au lieu que les pertes soient socialisées sur l’ensemble de la population, elles le seraient au sein du seul patronat. De plus le blocage des licenciements ne fait pas que coûter, il y a un bénéfice, même au plan purement économique : moins de chômage, plus d’impôts, et de la consommation supplémentaire.
« Tout est à nous, rien est à eux! »
Ce que finalement Challenges a « découvert », c’est qu’il s'agit bien d'un programme anti-capitaliste, qui implique une redistribution radicale des richesses dans ce pays. En avril 1968, les patrons auraient aussi considéré « irréaliste » une augmentation de 30% du SMIC, mais deux mois plus tard, face à la grève générale, ils devaient céder ! Ce qui a été possible en Mai 68 devrait l’être encore aujourd’hui.
Mais prises ensemble, nos revendications ne peuvent être appliquées qu’à travers une rupture avec le capitalisme. Dans notre projet de société, nous n'admettons pas qu'une partie du fruit de notre travail revienne à ceux qui nous exploitent. Nous ne voulons pas seulement un « meilleur partage des richesses », mais tout reprendre. L'expropriation des capitalistes et le contrôle ouvrier sont les conditions indispensables pour construire une nouvelle société débarrassée de la misère et l'exploitation.
La possibilité de vivre dignement est à portée de main. Pour cela il faut se libérer du carcan de l’économie de marché. Un gouvernement des travailleurs issu des luttes serait à même de mettre en place de telles revendications, qui supposent de s'en prendre frontalement aux intérêts de la bourgeoisie. Ce qui est « irréaliste, délirant et ruineux », c’est que ce système perdure. Le capitalisme n’est pas réformable. Comme l’a rappelé notre congrès de fondation, nous luttons bien pour une autre société : pour le socialisme du XXIe siècle !
Au final, tout ceci revient à une seule question : peut-on imposer une rupture anticapitaliste par une mobilisation populaire ? Cette rupture peut-elle s’étendre à l’échelle européenne, puisque les politiques que nous proposons ne peuvent prendre leur vraie mesure qu’à cette ampleur ? Pour l’instant, la réponse est négative, ces idées étant encore minoritaires. Notre ambition et notre honneur est de travailler à renverser le rapport de force. Ainsi ce n’est nullement une question économique, mais une question idéologique, sociale et politique. Par définition, toute idée de révolution est d’abord minoritaire avant que d’emporter, peut-être, la majorité. Combien de divisions en faveur de la République en 1788 ? Pourtant…