Parmi les dernières annonces gouvernementales, certaines concernent les personnes sans abri qui seraient l’objet d’une soudaine attention des pouvoirs publics. Il aura donc fallu en arriver là pour se préoccuper des populations les plus précaires et démunies, expulsées de leur logement, squatters, habitantEs des campements et des bidonvilles, habitantEs d’un coin de trottoir…
Il ne s’agit sans doute pas d’un sursaut d’humanité de nos dirigeantEs mais de la prise de conscience du danger pour toutes et tous que représentent des milliers de personnes toujours en errance malgré le confinement imposé depuis le 17 mars dernier. Comment se confiner quand on est à la rue alors qu’on vit en groupe pour se soutenir, qu’on sollicite le passant pour manger, qu’on vit nombreux dans des squats ou des abris de fortune dans lesquels l’isolement est impossible et la promiscuité imposée… Alors oui, le Covid 19 représente pour les sans abri et l’ensemble de la population un véritable danger pour touTEs, d’autant que l’accès aux soins est de fait ou de droit bloqué pour beaucoup, que touTEs n’ont pas accès à l’eau pour se laver les mains.
La faillite des politiques de santé
Pourtant, si la pandémie impose aujourd’hui d’agir rapidement auprès de ces populations, c’est bien parce que les politiques mises en place depuis des années sont consternantes. On citera rapidement le manque cruel de places d’hébergement qui laisse les demandeurEs de plus en plus nombreux dehors, la politique de l’hébergement d’urgence au thermomètre qui conduit à abriter une partie des sans abri quelques mois l’hiver pour les remettre à la rue au printemps, l’expulsion des logements, des squats, le démantèlement des campements et terrains accueillant parfois des centaines de personnes sans solution de relogement, l’asphyxie des dispositifs permettant aux personnes en difficultés d’accéder à un logement ordinaire parce que les logements intermédiaires, les logements sociaux font cruellement défaut. Enfin, les faibles moyens attribués aux associations, aux services sociaux… pour garantir aux personnes un accompagnement social efficace et durable. Et puisque l’on parle de santé, il faut rappeler que l’accès au droit à la santé s’est particulièrement durci ces dernières années, notamment l’accès à l’Aide médicale de l’État qui permettait plus aisément qu’aujourd’hui aux personnes sans papiers de bénéficier non seulement de soins mais aussi de mesures de prévention. Plutôt que de stigmatiser le SDF ou le migrant pour le danger qu’il représenterait pour la collectivité, ne faudrait-il pas s’inspirer de la mesure prise récemment au Portugal de régulariser les étrangers et étrangères en situation irrégulière afin qu’ils et elles bénéficient d’un accès aux soins ?
Macron attentif aux plus précaires ? Les paroles et… les actes !
Alors, une fois renvoyés les enfants à la maison, préconisés le télé-travail comme une solution quasi-universelle, décrétés le confinement, expliqués que les tests et les masques étaient parfaitement inutiles et durcis le code du travail, Macron et son gouvernement ont pensé aux sans abri. Le 16 mars, Macron demandait d’être attentifs aux plus précaires et déclarait faire en sorte « avec les grandes associations, avec les collectivités locales et leurs services, qu’ils puissent être nourris, protégés, que les services que nous leur devons soient assurés ». Enfin ? Rappelons que le dispositif hivernal 2019-2020 de mise à l’abri a été saturé cet hiver encore plus rapidement que les autres années. Femmes sortantes de maternité, femmes avec enfants, personnes malades, hommes seuls, femmes seules, familles… ont dû appeler des jours durant le 115 pour tenter de décrocher une place. TouTEs n’y sont pas parvenuEs, sont restéEs dans la rue, renvoyéEs sur les accueils de jour à défaut d’avoir un accueil de nuit. Appeler le 115 est un véritable cauchemar et un travail à temps plein. En Seine-Saint-Denis, il n’est pas rare d’attendre en journée 2h30 qu’unE écoutantE décroche. Quoi qu’il en soit, au bout de 3 h, ça raccroche. Il faut donc du temps et de la patience. Il faut aussi être outillé : un téléphone pour appeler mais aussi obligatoire pour être rappelé.e puisqu’on ne vous dira pas lors de votre appel si vous avez une place, on vous rappellera en fin de journée. Il faut aussi une batterie chargée à bloc… donc une prise électrique. Et la crise sanitaire actuelle n’a pas aboli ces obstacles.
Donc cet hiver, des centaines de personnes ont été exclues du dispositif de mise à l’abri, faute de moyens, faute de place. Les salles d’attente des urgences des hôpitaux ont été envahies par ces excluEs du plan hivernal venuEs s’y abriter du froid, du vent, de la pluie. Ce sont ces personnes qu’il faut en urgence héberger depuis mi-mars, sans beaucoup plus de moyens, sans anticipation. Pour éviter le pire, Macron a décidé de reporter de deux mois la fin de la trêve hivernale ce qui signifie qu’il n’y aura pas d’expulsion locative, de coupure de gaz et d’électricité d’ici à la fin mai. Un sursis, pas un moratoire. Cela signifie aussi que les places et structures d’hébergement sont prolongées de deux mois. Même logique : un sursis, pas un engagement vers un hébergement pérenne… Le ministère de la ville et du logement a annoncé la mise à l’abri de 2 000 personnes dans des hôtels depuis le 16 mars « suite à un engagement fort de l’État » ! En Seine-Saint-Denis, 350 familles auraient été mise à l’abri depuis le 16 mars, essentiellement en hôtel. Des centres ouvrent pour accueillir les personnes hébergées présentant des symptômes ou étant malades mais ne relevant pas d’une hospitalisation. Mais qu’en est-il des autres, pas encore hébergéEs mais déjà malades ? De celles et ceux toujours à la rue et pas encore malades ? La Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement dit poursuivre sa recherche de solution de mise à l’abri et invite ses partenaires « a faire part de tout les moyens » dont ils disposent pour concourir à cet objectif. Julien Denormandie, ministre chargé de la Ville et du Logement sollicite la plateforme de location Airbnb ! En attendant, ce sont autant de personnes en errance.
Des associations sans directive et sans moyens
Sur le terrain, les associations ont dû réagir rapidement et sans directive particulière si ce n’est celle de poursuivre l’activité. Ainsi la DRIHL de Seine-Saint-Denis indiquait par exemple qu’il fallait poursuivre les maraudes et ne pas interrompre les accueils de jour. Elle préconisait le 23 mars des principes qui ne faisaient que reprendre ce qui a été bricolé par les équipes dès le 16 mars : accueillir le public mais en moins grand nombre, restreindre les heures d’ouverture, ne maintenir que les services de base (prestations d’hygiène et alimentaires)… Comme dans les autres secteurs qui doivent impérativement maintenir leur activité, les équipes d’accueil ou de maraudes du secteur social ont dû faire face à un cruel manque de moyens (gel, gants, masques…) s’exposant et exposant les publics rencontrés et accueillis aux risques de contamination. Pour les personnels, le dilemme est quotidien entre la volonté de maintenir les missions d’accueil des publics en souffrance dont les difficultés sont accrues par le contexte actuel et la volonté de se protéger, de protéger ses proches, le refus de travailler dans des conditions dégradées, la volonté d’exercer son droit de retrait si nécessaire. La situation est d’autant plus tendue que ce sont des équipes affaiblies qui font face à une demande constante, voire en augmentation. Rares sont en effet les équipes qui fonctionnent à effectif plein du fait des absences pour maladie, pour garde d’enfant ou pour retrait de bénévoles.
Des mesures d’urgence
D’alarmante, la vie des sans abri vire depuis début mars au cauchemar. Dès les premiers signes de la pandémie, ils et elles ont été excluEs des urgences des hôpitaux, puis des lieux publics qui ont fermés sans que les places d’hébergement ouvrent en nombre suffisant. Les activités de survie de beaucoup d’entre eux et elles ont été stoppées net (Uber, chantiers, nettoyage, ferraille, vente à la sauvette…) les privant ainsi de leurs maigres ressources. Les lieux de distribution de l’aide alimentaires sont saturés et doivent se réorganiser dans l’urgence pour tenter de répondre à la demande…
Ainsi donc, des mesures d’urgence s’imposent :
- il faut réquisitionner les espaces privés et publics qui peuvent héberger les personnes dans des conditions dignes et décentes (douches, toilettes, cuisines ou distribution alimentaire…)
- il faut réquisitionner les hôtels qui se sont multipliés à la périphérie des grandes villes - alors que des logements sociaux auraient du être construits sur ces espaces - en garantissant les possibilités de cuisiner ou d’accéder à des repas ;
- il faut garantir à chacunE la possibilité de se nourrir, en utilisant tous les moyens nécessaires, publics et privés ;
- il faut garantir aux équipes d’accueil et d’intervention ainsi qu’aux personnes accueillies les moyens de se protéger : gants, masques, gel ou savon…
- il faut renforcer l’effectif des équipes afin d’accueillir touTEs celles et ceux qui en ont besoin sans limitation tout en restreignant le nombre de contact par salariéE ou bénévole ;
- il faut que les CSE soient informés et consultés sur les organisations du travail et des horaires liées à la pandémie, sur la mise en place du télé-travail, que le droit de retrait sit respecté.
Et au-delà, c’est l’ensemble des politiques en direction des précaires et des sans abri qu’il faut revoir pour éradiquer la pauvreté.