Toujours plus pressée par les effets délétères de turpitudes étalées dans les médias et devenues insupportables à une population légitimement écœurée, les lois successives sur le financement politique, récemment élargies à la trop bien nommée « moralisation » de la vie publique, s’empilent et s’imposent de façon contradictoire à la bourgeoisie à un rythme accéléré depuis 30 ans.
Si cette sédimentation législative entrave, contient et fait reculer certaines pratiques délictueuses, elle ne s’attaque évidemment pas aux racines politiques et sociales du mal. Elle a même tendance à l’accentuer puisque ce qui était toléré et caché fait irruption sur la place publique et devant les tribunaux. Par ailleurs, puisque conçues et votées par ceux-là mêmes qu’elles visent, ces dispositifs ont des limites et points aveugles plus ou moins bien calculés pour ménager leur contournement, en l’attente de l’inévitable tour de vis suivant. Enfin, et c’est notre objet, toute cette machinerie produit des effets plus ou moins directs et volontaires sur les petites formations politiques, surtout quand elles sont des ennemis de l’État. En clair, des lois peuvent contenir des avancées... mais aussi des coups bas enrobés de probité. Pour preuve la dernière loi « pour la confiance dans la vie politique ». Examinons-en un point précis : la réforme de la collecte de leurs ressources par les partis politiques.
Obligation de révéler son identité
Alors que les seuls dons étaient auparavant concernés, la loi impose désormais aux partis politiques de récolter l’ensemble de leurs ressources sur un ou plusieurs comptes agréés par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Cet agrément ouvre droit, pour toute personne physique abondant ce compte, à une déduction fiscale spécifique ayant pour but de favoriser le financement des partis. Mais cet agrément impose un contrôle accru dudit compte. En l’occurrence, puisque qu’une déduction fiscale est accordée, tout versement sur ce compte agréé doit donner lieu à l’édition d’un reçu fiscal permettant de satisfaire aux exigences du Trésor public en cas de contrôle. Rien de scandaleux en soi. Mais un reçu fiscal comporte évidemment un nom, un prénom et une adresse. Et si l’on impose à toute personne souhaitant verser de l’argent à un parti de révéler son identité, si cette obligation n’est plus imposée aux seuls donateurEs ponctuels mais à l’ensemble des adhérentEs, on aboutit par un pervers mécanisme bureaucratique... à un fichage exhaustif de tous les militantEs !
L’État fort en marche
Peu importent les gages techniques et juridiques donnés de bonne foi par la CNCCFP. Peu importent la qualité de ses systèmes de protection informatique et son statut d’indépendance formelle vis à vis de l’État. Aujourd’hui déjà, et demain plus encore, l’État fait ce qu’il veut. L’article 4 de la Constitution, dans lequel il est dit que les partis « se forment et exercent leur activité librement », est une base libérale dont aucun démocrate bourgeois, ni même socialiste, ne saurait renier la nature élémentaire. Or, quand on oblige un parti à collecter le moindre centime sur un compte agréé synonyme de fichage silencieux sous le prétexte d’une obligation fiscale indûment élargie et détournée, il semble bien que l’État fort soit en marche. La loi transposant l’état d’urgence dans le droit commun en est son glaive. Mais toute la machinerie de contrôle des partis, moins compréhensible et visible, et ce d’autant qu’elle comporte certaines avancées, en est l’un de ses boucliers.
Sylvain Madison