Le dossier médical partagé est mort. Un échec à 250 millions d’euros qui, depuis 2004, n’arrive à convaincre ni les médecins, ni les patientEs. Et depuis février, il est donc remplacé par « Mon espace santé » qui, sauf opposition express dans le mois, sera automatiquement ouvert par l’Assurance maladie pour touTEs les assuréEs.
«Mon espace santé » est conçu pour héberger ordonnances, résultats d’examens, antécédents médicaux, comptes rendus d’hospitalisation. Il comprendra aussi une messagerie sécurisée et, demain, la possibilité de prendre des rendez-vous, d’avoir des rappels de dépistage ou de vaccination et des applications santé rassemblées dans un « store », magasin en anglais, tout un programme !
Le secret médical première victime ?
Cet espace santé est présenté comme une évidence. Dans un monde où les pathologies chroniques nécessitent un suivi long et la coordination de multiples intervenantEs, où les prises en charge sont de plus en plus techniques, la mobilité importante, la nécessité de faire circuler le dossier médical du ou de la patientE semble une évidence. Le problème, c’est que le monde de la santé est « en même temps » celui du contrôle social, de la rentabilisation et de la marchandisation. Et que le partage des données de santé, est un préalable, mais aussi un formidable accélérateur de toutes ces tendances.
Le secret médical risque d’être la première victime de ce nouvel espace santé. Bien sûr, officiellement, assureurs et employeurs n’auront pas accès au dossier médical numérique. Pas plus que les médecins du travail. Mais la réalité est plus… complexe ! On pense aux hackers, qui ont volé en 2018 1,5 million de dossiers médicaux dans l’ultra-sécurisée Singapour et rendu public le dossier médical du Premier ministre. Mais beaucoup plus simplement, on se souvient de l’affaire Iqvia, révélée par « Cash investigation ». Cette société étatsunienne pompait les données de notre carte Vitale à chaque connexion dans les 14 000 pharmacies françaises partenaires. Sans recueillir notre avis, pourtant obligatoire avec le règlement européen sur la protection des données. La CNIL a infligé 1,75 million d’euros d’amendes à l’AG2R, pour avoir gardé plus de trois ans les données, notamment santé, de plus de deux millions de clientEs, parfois même après la rupture des contrats ! Voilà comment « Mon espace santé » est vendu dans l’appel à candidature pour les applications du store : « Il s’agit à travers l’espace numérique en santé de permettre aux usagers d’avoir et de donner accès aux données relatives à leur santé ». Le produit vendu aux start-up de l’e-santé, c’est bien l’accès à nos données !
N’oublions pas aussi la question du secret médical entre parents et enfants, notamment à l’adolescence. Ou pour les trans, la révélation brutale de la transition à tous les professionnels de santé, sans que des liens de confiance soient tissés, avec le risque souligné par l’association Acceptess-T de discrimination, de violence médicale. La possibilité de cacher certains données existe. Mais qui l’utilisera ? La possibilité de fermer son espace santé existe. Avec le risque, demain, d’un moindre remboursement, comme pour le non-respect du parcours de soin ? En ces temps de loi de sécurité globale, de pass sanitaire et de marchandisation des données de santé, on le voit, nos données de santé intéressent beaucoup l’État et les Gafam !
Nos données ne sont pas pour l’État ou les Gafam !
À l’heure de l’austérité dans la santé et des déserts médicaux, l’espace santé numérique risque aussi d’être un instrument de contrôle social et financier d’une médecine ubérisée, déhumanisée, notamment pour les plus pauvres. Téléconsultations et renouvellement automatique des prescriptions pour ceux qui habitent dans les déserts médicaux ou au pied des tours des quartiers populaires, une médecine sans âme et au rabais. Difficulté d’accès aux soins accrue pour les victimes de la fracture numérique. Et pour ceux qui devront et pourront payer, dépassements d’honoraires et accès à des soins de qualité. Contrôle social ? On pense au déremboursement des appareils contre l’apnée du sommeil aux mal observants. Ou aux débats scandaleux sur le déremboursement des soins aux non-vaccinéEs, sans parler du Canada qui leur refuse allocations chômage ou cannabis ! L’espace santé va pousser au développement des rendez-vous en ligne. Vous êtes une femme, vous demandez un rendez-vous à votre gynéco, puis à votre cancérologue, puis une hospitalisation en chirurgie mammaire. Quelle conclusion peut en tirer un assureur ? En juin 2021, la plateforme de rendez-vous en ligne Doctolib a reconnu avoir partagé les demandes de rendez-vous de sa plateforme allemande avec Facebook.
Alors, contre les datas de santé, la défense de la vieille médecine libérale et des fiches en papier… Non ! Nous savons l’utilité du Réseau sentinelle, qui suit en temps réel et sur une base régionalisée dix indicateurs de santé. Nous exigeons des registres nationaux des cancers, notamment pédiatriques, pour faire le lien entre santé et exposition aux pollutions, aux pesticides. L’État et les Gafam ne semblent pas pressés de recueillir ces données-là ! Un contre-projet à bâtir, en lien avec la perspective d’un service de santé public et démocratique, avec une protection absolue du secret médical, et donc probablement une architecture spécifique, décentralisée et publique, sous le contrôle des assuréEs sociaux, associations de malades, organisations indépendantes de professionnels de santé, mettant au cœur de la santé les usagerEs, la démocratie sanitaire, où la dimension individuelle et collective des déterminants de santé soit un service de la santé publique, et pas du contrôle social, de la marchandisation et de l’austérité. Alors débranchons « Mon espace Santé » numérique !