L’équipe de France de football masculine est donc championne du monde. Que l’on s’en réjouisse, que l’on s’en désespère ou que l’on s’en fiche, nul doute que l’ampleur délirante prise par les célébrations de cette victoire aura largement agacé, voire outré. A fortiori dans la mesure où l’opération de récupération/confiscation organisée par le pouvoir a pris des proportions tellement gigantesques qu’elle en est devenue aussi pathétique que révoltante, y compris parmi les supporters de l’équipe de France. Symbole parmi les symboles : le « défilé » des joueurs sur les Champs-Élysées n’aura duré qu’une douzaine de minutes, dans un bus à l’impériale à fond de train qui, sous la pression de la Présidence de la République, devait arriver à l’heure à l’Élysée, malgré un retard d’avion, pour que Macron ait « ses » images dans les JT de 20h. Pas besoin d’arbitrage vidéo pour déceler la grossièreté de la manœuvre, que nombre de présents sur les Champs-Élysées ne se sont pas privés de dénoncer à l’antenne des chaînes d’information en continu, rappelant notamment que le « défilé » de 1998 avait duré plus de 3 heures.
De là à en déduire que l’opération de com’ menée par la Macronie a échoué, il n’y a qu’un pas, que les instituts de sondages nous encouragent allègrement à franchir. Le 17 juillet, c’est-à-dire le surlendemain de la finale et le lendemain du « retour des Bleus », une enquête menée par Odoxa pour France info et le Figaro nous apprenait ainsi que, si le « moral des Français » était en nette hausse, la popularité de Macron était quant à elle… en baisse de deux points (61 % d’opinions défavorables), contrairement aux savants pronostics de tous ceux qui nous expliquaient qu’une éventuelle victoire de l’équipe de France allait nécessairement faire exploser la cote de Macron. Et nous étions avant l'affaire Benalla... Ainsi, et ce même si l’on sait que les chiffres des sondologues sont souvent à prendre avec des pincettes, les gesticulations présidentielles, souvent largement au-delà de la limite du hors-jeu, n’auront pas suffi à redorer le blason de Jupiter. Plus important peut-être, ces chiffres, qui vont de pair avec les railleries et les indignations qu’ont suscitées les mises en scène et les manœuvres macroniennes dans la dernière semaine de la Coupe du monde, tendent à démontrer que « le peuple » n’est pas aussi stupide que d’aucuns le souhaiteraient.
Nous ne pouvons que nous réjouir du fait que l’entreprise de récupération politique, aussi discrète qu’un tacle à la nuque, menée par ceux qui, le reste de l’année, divisent, excluent et stigmatisent, et ont soudain tenté de se poser en garants d’une « communauté nationale » au sein de laquelle nous serions touTes sur un pied d’égalité, n’ait pas obtenu le succès escompté. Un signe supplémentaire du fait que, malgré l’absence de succès des mobilisations sociales, à commencer par celle des salarié·e·s de la SNCF, et même si le pouvoir continue de vouloir mener ses contre-réformes tambour battant, le macronisme souffre d’un profond déficit de légitimité que son recours outrancier aux méthodes les plus « modernes » de la communication ne parvient pas à combler. C’est le verre à moitié plein : Macron a été mal élu, et ses politiques antisociales, quand bien même il prétendrait les mener au nom de « l’intérêt général », renforcent la défiance et l’hostilité à son égard.
Le verre à moitié vide, c’est évidemment, au-delà de l’enthousiasme aux causes multiples qui a gagné des centaines de milliers, voire des millions de personnes, le déferlement bleu-blanc-rouge qui a accompagné la victoire des « Bleus » : drapeaux, Marseillaise, « fierté d’être français », « unité nationale » et autres variations sur le même thème. Les subtiles nuances, que l’on entend notamment du côté de La France insoumise, entre « patriotisme », « chauvinisme » et « nationalisme », ne sont guère convaincantes, et force est de constater que les frontières mentales, à l’image des frontières géographiques, se renforcent, malgré les tragédies, notamment du côté des rives de la Méditerranée, qui plaident pour leur ouverture. Sur ce plan comme sur bien d’autres, tout – ou presque – reste à faire. Car l’échec des pitreries footballistiques de Macron ne signifie pas mécaniquement le succès des projets anticapitalistes, internationalistes et solidaires. Bien au contraire.
Aux quatre coins de l’Europe, la montée des extrêmes droites, qui occupent désormais de solides positions au sein de gouvernements nationaux, témoigne du fait qu’un vent très mauvais souffle sur le vieux continent. Un phénomène qui souligne, s’il en était encore besoin, l’urgence de reconstruire les solidarités et les cadres collectifs permettant de s’organiser et de lutter contre la déferlante libérale, raciste et autoritaire. Afin de pouvoir, à l’avenir, fêter, toutes et tous ensemble, des victoires sociales et politiques autrement plus décisives, pour notre camp social, qu’un titre de champion d’un monde dont nous ne voulons plus.
Julien Salingue