Martine Aubry, officiellement candidate aux primaires socialistes pour les présidentielles, passe pour la candidate de « la gauche du PS ». Une appréciation très relative... Dans le petit monde de la politique professionnelle, une information chasse l’autre : les derniers rebondissements de l’affaire Strauss-Kahn ont failli éclipser l’ouverture formelle du processus des primaires socialistes et l’annonce par Martine Aubry de sa volonté de se présenter à l’élection présidentielle. DSK n’étant – momentanément ? – plus dans la course, le premier défi d’Aubry est de refaire le retard qu’elle a par rapport à François Hollande. Pour cet objectif, il semble qu’elle puisse compter sur quelques alliés au sein de l’appareil socialiste… ce qui est la moindre des choses lorsqu’on en est la première secrétaire !
Par contre, la présence parmi ses supporters des sensibilités qui se réclament de la « gauche du PS » interpelle. Mais il est vrai que, dans une telle compétition, tout est relatif… À la différence de Strauss-Kahn, Aubry n’a pas été à la tête du Fonds monétaire international. Contrairement à Hollande, elle ne considère pas qu’il faille promettre le moins possible puisque, de toute façon, une fois parvenus à nouveau au pouvoir, les socialistes disposeront de marges de manœuvre tellement restreintes que mieux vaut ne pas semer trop d’espoirs. De là à en faire la porte-voix d’une gauche décomplexée ! Car ni son itinéraire politique ni son action récente à la tête du PS ne permettent de nourrir trop d’illusions. « La dame des 35 heures »Martine Aubry est souvent identifiée – surtout dans les critiques venues de la droite… – aux deux lois sur les 35 heures, prises par le gouvernement Jospin en 1998 et en 2000. Et, de fait, les attaques virulentes contre « la dame des 35 heures » ont puissamment contribué à façonner son image « de gauche ». Mais, en réalité, ces critiques récurrentes viennent nettement plus de la droite… que du patronat. D’ailleurs, lors de chaque nouvelle offensive de la droite dure clamant qu’il faut « revenir sur les 35 heures », le patronat se fait étonnamment discret ! Au-delà des polémiques convenues, bien peu de dirigeants d’entreprises – du moins parmi ceux du CAC 40 et des grandes entreprises multinationales, c’est-à-dire celles qui comptent vraiment… – croient réellement que les 35 heures à la mode Jospin et Aubry ont « ruiné la compétitivité des entreprises françaises » ! Naturellement, ces grands patrons sont viscéralement hostiles à toute réglementation et à tout cadre juridique qui limite leur « liberté d’exploiter ». Si les lois Aubry avaient, en leur temps, provoqué un clash avec le Centre national du patronat français (CNPF, ancêtre du Medef) et la démission de son président, Jean Gandois, c’était moins pour leur contenu que leur caractère obligatoire et « uniforme ». Martine Aubry et Jean Gandois étaient d’ailleurs de vieilles connaissances : la première avait été directrice-adjointe de Pechiney lorsque le second en était le PDG…
Vu du monde du travail, le bilan des 35 heures est pour le moins contrasté. Les couches supérieures du salariat y ont sans doute gagné en temps libre (les fameuses RTT), souvent en contrepartie d’une intensification du travail et du stress. Mais, pour l’essentiel du salariat – ouvriers et employés – le prix de la diminution du temps de travail a été ce que les élites appellent la « modération salariale ». Autrement dit la stagnation, voire la régression du pouvoir d’achat. Comment s’étonner ensuite du succès, au sein du monde ouvrier, de la démagogie d’un Sarkozy avec son « travailler plus pour gagner plus » ? Et puis, surtout, les 35 heures ont été l’occasion rêvée de flexibiliser à outrance le temps de travail, à la semaine, au mois, voire à l’année. Cette « modernisation » de l’organisation du travail ne pouvait que combler un patronat depuis toujours vent debout contre les « rigidités du code du travail ». Et, de fait, les faibles barrières protectrices qui fixaient les durées maximum de travail et les temps de repos ont volé en éclats : désormais, le rythme et le cadencement du travail dépendent exclusivement du carnet de commandes et de ses variations, ainsi que des exigences de la production en flux tendu. Ainsi, la réduction du temps de travail a été assimilée au blocage des salaires et à la dégradation des conditions de travail. Ou comment le PS, avec Aubry, a réussi à gâcher une idée formidable… Ménager la chèvre et le chouLes années passent, mais la méthode demeure : ainsi en est-il des propositions sur les retraites, qui occupent une place de choix dans le projet socialiste pour 2012 dont Martine Aubry a été la véritable cheville ouvrière. Il est clairement indiqué – et Martine Aubry n’oublie jamais de le rappeler – « nous rétablirons l’âge légal de la retraite à 60 ans ». Par contre, il n’est pas envisagé de revenir sur les augmentations successives des annuités de cotisations nécessaires pour une retraite sans pénalités financières. Le projet socialiste prévoit explicitement que « la durée de cotisations peut évoluer dès lors que la question de l’emploi des seniors et la prise en compte de la pénibilité font l’objet de mesures effectives ». En fait, comme les autres dirigeants du PS, Martine Aubry espère que, dans le discours socialiste, le Medef retiendra « évolution » de la durée de cotisations, pendant que les couches populaires entendront : retour de l’âge légal à 60 ans !
François Coustal