La semaine dernière le Parlement européen condamnait à une très forte majorité « le recours disproportionné à la force sur les manifestants ». Ce vote, sans caractère contraignant, qui n’a pu déboucher sur une condamnation de l’usage du LBD, et, qui s’adressait, pudiquement, à tous les États membres de l’Union européenne, n’en reste pas moins un camouflet pour le gouvernement français.
Le nombre de blesséEs, mais encore plus celui des mutiléEs par les forces de répression finit par faire tache sur le beau costume du président du « nouveau monde ». Le recours aux répression policière et judiciaire, auxquelles s’ajoute la loi liberticide sur le droit à manifester, marque un véritable tournant autoritaire de Macron.
Un cap a été franchi
Certes, cette politique autoritaire s’inscrit dans la parfaite continuité de celle menée par Hollande lors de la répression du mouvement contre la loi Travail en 2016, ou sur la ZAD de Sivens en 2014, où Rémi Fraisse avait été tué, victime d’une grenade offensive, cousine des grenades dites « défensives » GLI-F4 utilisées actuellement. Mort qui n’avait donné lieu à aucune condamnation, puisque le gendarme incriminé a bénéficié d’un non-lieu, pas plus qu’elle n’avait ébranlé les hauts sommets de l’État, Bernard Cazeneuve ayant conservé son poste de ministre de l’Intérieur jusqu’à la fin du quinquennat. Certes, le pouvoir Macron avait déjà fait usage disproportionné de la force lors du 1er Mai 2018, et déjà montré avec l’inscription de l’état d’urgence dans le droit commun qu’il était prêt à se donner tous les moyens pour faire appliquer ses politiques néolibérales. Mais avec le mouvement des Gilets jaunes un cap a été franchi.
Depuis 3 mois la répression policière a fait plus de 2 000 blesséEs et on ne compte plus le nombre de mutilés par des grenades ou par des tirs de LBD. De tels chiffres traduisent bien un usage disproportionné de la force qui dépasse largement le seuil du « monopole d’État de la violence légitime » dont se parent habituellement les gouvernements démocratiques. Les polices d’autres pays de l’UE, comme la Grande-Bretagne et l’Allemagne pourtant bien habituées aux Blacks blocs, n’ont pas été en reste pour critiquer les méthodes de maintien de l’ordre de leurs homologues français qui consistent seulement à aller à la confrontation brutale plutôt que de chercher le dialogue et la désescalade.
Répression judiciaire
La justice, elle aussi, n’est pas en reste. Derrière les cas emblématiques de Christophe Dettinger et Éric Drouet, se cache la dense forêt de la répression judiciaire. D’après les chiffres du ministère de l’intérieur en date du 14 février et cités par le Monde, depuis le début du mouvement près de 8 400 personnes auraient été interpellées dont 7 500 placées en garde à vue. Ces interpellations auraient donné lieu à 1 800 condamnations et 1 500 dossiers seraient en attente de jugement. Les révélations du Canard enchaîné daté du 30 janvier sur les consignes données au Parquet sont éloquentes. Il s’agit d’inscrire toute personne interpellée au TAJ (Traitement des antécédents judiciaires) même si celle-ci n’est pas poursuivie faute de preuve. Un stigmate difficile à effacer par la suite…
La main droite de l’État, en conjuguant répression policière et répression judiciaire, a donc été particulièrement lourde avec le mouvement des Gilets Jaunes. Et volontairement, car le but recherché est bien celui d’effrayer les manifestantEs et d’affaiblir le mouvement. Macron comptait bien profiter de l’atonie du mouvement social pour faire passer toutes ses contre-réformes. Confronté au mouvement protéiforme et déstructuré des Gilets jaunes, il n’hésite pas à jouer la carte autoritaire et répressive. Dans une République où le jeu institutionnel est tronqué par des scrutins majoritaires, par un alignement des élections législatives et présidentielle, et où la plupart des grands médias sont à la botte du pouvoir, seule la grève et la rue constituent un réel contre-pouvoir. Les grèves restant modestes, il faut donc mater la rue.
Une question devenue centrale
Sans nier les problèmes de perspectives politiques, la répression pèse indéniablement sur la mobilisation des Gilets jaunes ou du moins sur son élargissement. Même si elle en constitue aussi un des ferments comme on a pu le voir lors de l’acte 11 consacré aux violences policières. Car force est de constater que rarement cette question a été autant popularisée. Elle a, avec le mouvement des Gilets jaunes, franchi les frontières de l’extrême gauche et des quartiers populaires pour atteindre de larges franges de la société. L’idée, portée depuis longtemps par le NPA, de désarmer la police pour les opérations de maintien de l’ordre ne paraît plus si saugrenue. Et on peut espérer que la question de la répression, articulée avec la défense et l’extension des libertés démocratiques, occupe désormais une place centrale dans les revendications de l’ensemble du mouvement social et politique.
Pourtant, l’un des écueils, face à un tel degré de répression, serait, pour les Gilets jaunes, de se concentrer sur ce seul aspect et d’en oublier leurs autres revendications. On ne comprend vraiment le sens de cette répression que si on l’articule avec la violence des politiques néolibérales menées par Macron. Car c’est bien sa volonté de les appliquer à tout prix qui le conduit à mener des politiques autoritaires.
Camille Jouve