Publié le Jeudi 17 janvier 2019 à 11h19.

S’opposer aux agressions contre les journalistes, d’où qu’elles viennent

Depuis le début de la mobilisation des Gilets jaunes, l’un des traits marquants du mouvement est l’hostilité que nombre de ses membres affichent à l’encontre des médias dominants. Une hostilité compréhensible au regard de la couverture médiatique de la mobilisation, mais qui dégénère de plus en plus en injustifiables agressions contre des journalistes de terrain, dont le travail est déjà rendu difficile par la répression policière, qui ne les épargne pas.

Rouen, Paris, Toulouse, Toulon… Au cours des dernières semaines, des agressions ont été commises, lors des manifestations des Gilets jaunes, contre plusieurs journalistes dans diverses villes, allant de l’insulte aux coups en passant par les menaces de mort ou de viol. Largement condamnées, ces agressions sont injustifiables et ont été, bien souvent et fort heureusement, interrompues par l’intervention d’autres manifestantEs.

Les agressions n’ont rien à voir avec la critique des médias

L’un des traits marquants du mouvement des Gilets jaunes est l’hostilité que nombre de personnes mobilisées manifestent à l’égard des médias dominants, avec une mention toute particulière aux chaînes d’information en continu. Et, à regarder ces dernières, le moins que l’on puisse dire est que cette colère est légitime, tant le traitement global du mouvement est empreint de clichés, de condescendance, de mépris, avec une hyper-­focalisation sur les « violences » et une profusion de rappels à l’ordre venus d’éditorialistes et d’« experts » pour médias, parfaits dans leur rôle de chiens de garde et de porte-voix de l’idéologie dominante1.

Mais cette colère légitime ne saurait servir de prétexte pour s’en prendre à des journalistes de terrain qui, bien souvent, essaient de faire leur travail de collecte d’informations dans des conditions précaires, et ne sont pas responsables de la ligne de leur rédaction, ni des positions ­outrancières des pseudo­journalistes que sont les éditorialistes. Ces journalistes de terrain sont bien souvent de jeunes journalistes qui, dans un univers médiatique dévasté, se retrouvent, comme bien d’autres salariéEs qui préféreraient gagner leur vie ailleurs, à travailler pour un employeur et/ou un groupe avec lesquels il ne partagent pas grand-chose sur le plan idéologique. 

La liberté de la presse est indivisible

Critiquer les agressions contre les reporters de terrain ne revient évidemment pas à défendre aveuglément les médias dominants et les chefferies éditoriales. À ce titre, il est particulièrement cocasse, pour ne pas dire révoltant, de voir ces éditorialistes et experts qui, en stigmatisant et en méprisant les Gilets jaunes, fournissent du carburant à l’hostilité contre les médias dominants, s’indigner des agressions subies par les journalistes de terrain sans se poser aucune question quant à leurs responsabilités dans ces actes. Bien au contraire, certains d’entre eux répètent sur tous les tons que « les médias font bien leur travail », et que l’hostilité des Gilets jaunes n’a aucune explication, sinon une haine irrationnelle de la liberté de la presse. 

La liberté de la presse doit évidemment être défendue, et cela passe notamment par un refus de toute agression contre des journalistes. Ce qui n’empêche pas de s’interroger sur les motivations des gardiens de l’idéologie dominante, qui se posent soudain en chevaliers blancs de la liberté de la presse alors que, dans le même temps, les errements vis-à-vis de la déontologie et l’absence significative de pluralisme au sein de leurs propres médias ne semblent guère les émouvoir. Qui plus est, force est de constater que les mêmes sont particulièrement silencieux lorsque les reporters de terrain sont victimes de violences policières, ce qui a été le cas de plusieurs dizaines d’entre eux depuis novembre, à un point tel qu’une plainte a été déposée par 24 journalistes à la mi-décembre. Des violences policières qui ne doivent pas conduire à relativiser les agressions commises par des manifestantEs, mais qui indiquent qu’une authentique lutte pour la défense des journalistes ne peut faire l’impasse sur le combat contre les pratiques liberticides de l’État et contre les discours de tous ceux qui, par leur adhésion proclamée ou par leur silence complice, les légitiment. 

Julien Salingue