Avec la décentralisation, les régions sont en concurrence pour inciter les patrons à s’installer ou rester chez elles. Cédant à leur chantage, elles leur versent de plus en plus de subventions. Une logique libérale désastreuse pour les salariés.Les annonces en cascade de fermetures d’usine au cours de l’année écoulée ont créé un quasi-traumatisme dans plusieurs régions, dont certaines ont déjà été fortement frappées par les destructions d’emploi. Avec le développement de la crise économique, les aides apportées par les régions, en complément d’engagements de l’État, sont souvent apparues comme un moyen légitime d’éviter de nouvelles délocalisations. Avec la forte augmentation des chiffres du chômage, c’est même devenu un véritable enjeu politique.
Dans ce contexte, c’est la région Poitou-Charentes, présidée par Ségolène Royal, qui est allée le plus loin en prenant une participation de cinq millions d’euros dans le capital d’Heuliez, un sous-traitant de l’automobile. S’il s’agit d’un cas exceptionnel – pour le moment –, il n’en est pas moins symptomatique des liens entre les institutions régionales et départementales et les entreprises privées. L’industrie automobile constitue un bon exemple : la Lorraine, qui a longtemps soutenu l’usine Smart, vient de lui apporter 900 000 euros et la région Haute-Normandie avance 12 millions d’euros à l’usine de Cléon. Pourtant, cette politique n’est pas nouvelle. La crise économique n’a fait qu’amplifier une dynamique qui existait auparavant et qui ne se cantonne pas à l’industrie automobile. En effet, les politiques de décentralisation ont créé une dynamique centrifuge. Au cours des décennies précédentes, l’État assurait une partie de l’organisation de l’économie dans la perspective d’un développement territorial. La mise en place des politiques néolibérales a détruit ce modèle en déléguant certaines responsabilités aux régions, contraintes aujourd’hui de faire la promotion de leurs atouts et de vanter les qualités de leur territoire. Les conseils régionaux ont mis en place des politiques spécifiques à destination des entreprises, qu’il s’agisse de développer les structures existantes ou bien d’en implanter de nouvelles. Les patrons gagnent à tous les coups : non seulement, ils se font grassement subventionner, mais en plus, face aux enjeux, ils obtiennent souvent le gel des salaires, sans compter la fin de la taxe professionnelle.
Pour les salariés, cette situation ressemble à la double peine : leur salaire stagne, quand ils ne perdent pas tout simplement leur emploi, et en plus ce sont eux qui financent ces subventions par le biais de leurs impôts locaux. Surtout, ce système a un effet pervers : il conduit les élus départementaux et régionaux à tout faire pour calmer le jeu au moindre conflit, par peur de voir l’entreprise plier bagage. Loin de permettre d’organiser les luttes et d’être un point d’appui, ils se conduisent le plus souvent en auxiliaires du patronat local, en conseillant systématiquement aux syndicats et aux salariés la retenue dans les grèves et les revendications.
Le fait qu’un certain nombre de présidents de conseil soient issus d’entreprises, grandes ou petites, renforce cette dynamique. Pour eux, diriger un établissement ou présider une région, c’est du pareil au même. Ce sont les mêmes recettes qui sont à chaque fois appliquées. Jean-Paul Huchon, président de la région Île-de-France et ancien membre de la direction du groupe Pinault-Printemps-La Redoute (PPR), en est le meilleur exemple. Il ne peut y avoir de demi-mesure : soit on s’oppose au fonctionnement du capitalisme et on refuse toute forme de subvention. Soit on l’accepte et il faut aller jusqu’au bout de la logique, qui signifie la mise en concurrence des territoires et des populations pour le plus grand profit de la valorisation du capital. Cette discussion en cours dans la perspective des élections régionales ne doit donc pas être considérée comme secondaire. Henri Clément