Entretien avec Myriam Combet, qui nous éclaire, notamment, sur la politique menée par la gauche dans la région Rhône-Alpes.
Pour quelle raison as-tu décidé de rejoindre la LCR en 2006 après avoir été élue en 2004 au titre du PCF ?
Proche des « refondateurs », je militais alors pour une insertion du PCF dans « un pôle de radicalité » et cela d’autant plus que depuis mon élection en 2004 au conseil régional, je mesurais à quel point les politiques menées par le PS étaient essentiellement tournées vers le patronat. La campagne contre le traité constitutionnel européen m’avait semblé ouvrir une nouvelle voie et lorsque le Non l’a emporté, j’ai, dans le cadre de la préparation du 33e Congrès du PCF, publiquement exprimé mon souhait que le PCF s’émancipe enfin et durablement du PS, pour chercher une nouvelle alliance avec la gauche radicale. Ce choix n’a pas été partagé par la direction du PCF qui, dès le lendemain du 29 mai, imposa comme mot d’ordre : « réconcilier la gauche du oui et la gauche du non ». Un an après la victoire du non au référendum, le 29 mai 2006, j’ai annoncé que je quittais la majorité du conseil régional et que je poursuivais, dans le cadre de la LCR, le combat communiste que le PCF me semblait ne plus vouloir porter.
Après ta démission du PCF, pourquoi as-tu choisi de conserver ton mandat ?
La question d’une éventuelle démission, au moment où j’ai quitté le PCF pour rejoindre les militants de la LCR, revêtait un caractère pleinement légitime. J’aurais en effet démissionné de mon mandat si un tel choix avait pu permettre l’élection d’un autre communiste. Or, il se trouve que ma démission aurait entraîné l’élection d’un socialiste, partisan du Oui au TCE, ce qui aurait contribué ainsi à renforcer le camp du social-libéralisme.
Quel rôle peut jouer une élue anticapitaliste isolée dans un conseil régional ?
D’abord appuyer les luttes populaires sur le terrain, mais aussi les relayer dans les institutions. J’ai aussi pu soumettre au vote des mesures telles que l’interdiction des licenciements, la création de fonds de soutien aux salariés en lutte, la gratuité des transports, l’augmentation salariale des agents régionaux, le soutien à la campagne BDS1, etc., ce qui permet d’introduire l’urgence sociale dans le débat politique bien policé des conseils régionaux. Enfin, j’ai travaillé à informer la population des politiques qui se mènent, en rendant par exemple publiques les aides que le conseil régional accorde aux entreprises.
Tu évoques les aides en faveur des entreprises. Comment se traduit l’intervention des régions dans ce domaine ?
En lien avec le Medef et les chambres consulaires, les régions mènent des actions pour conforter les fonds propres des entreprises, garantissent leurs emprunts, financent leurs salons internationaux à l’étranger, les exonèrent de taxe professionnelle etc. Par ailleurs, les politiques régionales pour l’université ou la recherche se traduisent par un financement à fonds ouverts des pôles de compétitivité ou par le soutien à la création d’entreprises « innovantes ». L’ensemble des aides est si considérable que les régions sont incapables de les chiffrer avec précision et surtout elles ne cessent de s’accroître : on peut estimer que dans les trois dernières années, elles ont doublé, sans réel contrôle.
Pourtant, de nombreuses régions ont mis en place des instances de contrôle des fonds publics destinés aux entreprises ?
En 2004, la question du contrôle de l’utilisation des fonds publics aux entreprises avait été un thème important de la campagne, à un moment où de nombreuses entreprises licenciaient après avoir bénéficié d’aides publiques. Cela a conduit à la mise en place, dans les régions, de commissions non pas de contrôle, mais de « suivi et d’évaluation des fonds publics aux entreprises », ce qui n’est pas la même chose. De fait, ces instances ont été ouvertes au patronat, ce qui les a complètement vidées de leur sens. En Rhône-Alpes, la commission n’a ainsi jamais communiqué de chiffres précis sur le montant total des aides régionales aux entreprises ou sur le nombre d’emplois créés. Cette absence de contrôle concerne non seulement les aides directes, mais aussi les nombreuses subventions régionales indirectes aux entreprises, parmi lesquelles il ne faut pas oublier les aides au titre de l’apprentissage, que je dénonce.
Dans ta région, quelle politique mène la gauche en matière de services publics comme les lycées, les transports etc.?
Il faut reconnaître que les régions sont investies de façon conséquente en faveur des lycées (construction, rénovation, équipement matériels, etc.). Mais dans un contexte d’attaques contre le service public d’éducation, il n’est pas acceptable qu’elles financent l’enseignement privé, y compris par des crédits d’investissement qui n’ont aucun caractère obligatoire et atteignent 15 millions d’euros par an pour la seule région Rhône-Alpes. Par ailleurs, les régions auraient dû gérer directement la restauration scolaire, au lieu de la concéder, comme elles ont pu le faire, à des groupes privés comme Scolarest, plus soucieux d’engraisser leurs actionnaires que d’offrir des repas équilibrés aux lycéens.
En matière de transport, il faut là aussi souligner les investissements conséquents réalisés par les régions, qui ont permis une amélioration du service. Toutefois, beaucoup reste à faire en matière de tarification, aucune région n’ayant fait le choix d’une gratuité totale des transports, et peu l’ayant octroyé aux personnes privées d’emploi ou en situation de précarité. Enfin, les régions n’ont pas exprimé de rejet clair de l’ouverture à la concurrence du transport régional, rendu possible par un règlement européen entré en vigueur début décembre 2009 : il est donc à craindre que, dans ce domaine comme dans d’autres, les régions accompagnent les politiques européennes de libéralisation.
Cette politique suscite-t-elle des oppositions au sein de l’aile gauche de la majorité ?
Le groupe communiste participe à l’exécutif de la région. En échange, il est tenu à une solidarité de gestion avec le PS, ce qui le prive d’une expression réellement indépendante et le conduit à voter tous les dossiers. Le positionnement du Parti de gauche est plus compliqué, puisque aucun des cinq élus qui ont quitté le groupe socialiste pour constituer leur propre groupe fin 2008 ne participait à l’exécutif. Dans ces conditions, les élus du PG disposent de plus d’autonomie que ceux du PCF, ce qui leur a par exemple permis de s’abstenir sur le vote des crédits pour l’enseignement privé. Ils ne sont toutefois pas allés plus loin, puisqu’ils ont continué à faire partie de la majorité et à la soutenir, ont voté le budget et la quasi-totalité des mesures proposées par le PS.
La constitution du Front de gauche a-t-elle changé les rapports au sein des majorités de gauche de gestion ?
Je ne le crois pas, car les élus du PCF tirent un bilan très positif de leur action. Cela peut paraître étonnant au vu du résultat de ces six années de gestion sous domination social-libérale, mais il ne faut pas oublier que le fait de participer à un exécutif régional conduit à justifier des politiques dont on finit par se persuader de la légitimité. Majoritairement partisans d’une alliance dès le premier tour avec le PS, les élus du PCF ont certes été contraints par leurs militants de faire une campagne de premier tour, mais celle-ci ne pourra être réellement autonome : elle sera en effet subordonnée à leur stratégie de « rassemblement majoritaire », ce qui leur imposera de prôner une politique compatible avec les orientations du PS. Quant au PG, son insertion dans le Front de gauche n’augure rien de bon : si leur liste atteint les 5 %, ils seront contraints de s’aligner sur les positions des élus du PCF, autrement dit à intégrer les exécutifs du PS, avec lequel ils étaient censés avoir rompu.
Propos recueillis par Thibault Blondin