Publié le Samedi 6 mars 2010 à 13h54.

Régions : les tribulations de la décentralisation

 

En mars prochain, auront lieu les élections aux conseils régionaux. Avant d’en aborder les enjeux politiques et de présenter les propositions du NPA dans le prochain numéro de Tout est à nous! La revue, il nous a paru utile de rappeler d’où viennent les conseils régionaux, quelles sont leurs modalités d’élections, leurs domaines de compétences et leurs ressources.

La loi de décentralisation du 2mars 1982 a donné aux régions le rang de collectivités territoriales (art. 59). Cette disposition n’est devenue effective qu’en 1986, lors de la première élection des conseils régionaux au suffrage universel.

Cette loi constitue l’aboutissement du processus de mise en place d’une structure régionale liée à l’aménagement du territoire. En 1955, « 21 régions de programme » avaient été créées. Elles sont remplacées en 1960 par des « circonscriptions d’action régionale ». Un décret du 14 mars 1964 a créé les préfets de région, chargés de mettre en œuvre la politique du gouvernement concernant le développement économique et l’aménagement du territoire. La loi du 5juillet 1972 a institué les 22 régions. Ce sont des établissements publics pourvus de deux assemblées : le conseil régional (à l’époque non élu) et un comité économique et social. Le préfet de région détient alors le pouvoir exécutif.

Il existe cependant des régions à statut particulier : les ROM (régions d’outre-mer) constituées d’un seul département, et la Corse dotée d’un statut particulier depuis 1991.

La loi Deferre, en 1982, fait de la région une collectivité territoriale de plein exercice. Les conseils régionaux sont élus au suffrage universel direct pour la première fois en 1986. La région devient une collectivité territoriale à part entière – comme les communes ou les départements – inscrite dans la Constitution en 2003. Elle est composée de deux assemblées : le conseil régional (assemblée délibérative) et le CESR – conseil économique et social régional – (assemblée consultative). Le CESR comprend quatre collèges : entreprises et activités non salariées (35 % des sièges), syndicats de salariés (35 %), organismes participant à la vie de la région (25 %), personnalités qualifiées (5 %). L’essentiel de son rôle est d’émettre des avis sur le budget de la région et sur les principaux domaines d’intervention.

En 1982, ont été instituées les chambres régionales des comptes (une par région) chargées de contrôler la gestion des collectivités locales. Ce garde-fou était, en l’absence d’un réel contrôle démocratique, le minimum nécessaire pour éviter les dérives de potentats locaux à la tête de baronnies dotées des nouveaux pouvoirs conférés par les lois de décentralisation.

À notre avis

Les lois de 1982 rompaient partiellement avec la centralisation jacobine française. En effet, pourquoi passer par Paris pour construire un gymnase ? Mais, dans les faits, les lois Deferre – et celles qui ont suivi – n’ont guère remis en cause le pouvoir des notables, bien au contraire ! Elles n’ont nullement favorisé une plus grande intervention des citoyens dans la vie locale, pas plus qu’elles n’ont permis une redistribution des richesses et une réduction des inégalités entre collectivités locales. Les différentes réformes sont toutes restées bien éloignées de la décentralisation solidaire et démocratique qui serait nécessaire.

Le mode de scrutin

Le mode de scrutin – à deux tours – résulte de la réforme votée en 2003 et appliquée pour la première fois en mars 2004. La durée du mandat est de six ans.

Au premier tour, la liste ayant la majorité absolue obtient le quart des sièges à pourvoir et les sièges restant sont répartis entre les listes ayant obtenu au moins 5 %. Si aucune liste n’obtient la majorité absolue, on procède à un second tour auxquels ne peuvent se présenter que les listes ayant obtenu 10 % des voix au premier tour. Les listes ayant obtenu entre 5 % et 10 % des voix ne peuvent fusionner entre elles, mais peuvent le faire avec des listes ayant obtenu au moins 10 %…

La liste arrivée en tête obtient le quart des sièges, les autres étant répartis entre les listes dont le résultat est de 5 % au minimum.

De plus, ces listes sont constituées de sections départementales. Les sièges attribués à chaque liste sont répartis entre les sections départementales au prorata des voix obtenues par la liste dans chaque département, ce qui donne lieu à des calculs assez compliqués et des résultats difficiles à pronostiquer !

À notre avis

Le mode de scrutin actuel a été instauré et mis en œuvre par Chirac et Sarkozy en 2004. Après l’élection présidentielle de 2002, il visait sans ambiguïté à favoriser les grands partis installés et à réduire la représentation de l’extrême gauche, ainsi que du Front national. Rappelons qu’en 1998, le système précédent – proportionnelle départementale à un tour – avait permis à l’extrême gauche d’obtenir 25 élus…

Les principales compétences du conseil régional

Du point de vue budgétaire, les principales compétences des conseils régionaux se concentrent sur trois domaines – les lycées, la formation professionnelle et les transports – qui absorbent les deux tiers de leurs budgets.

Lycées publics et lycées privés

La région prend en charge la construction, l’extension, les grosses réparations, l’équipement et le fonctionnement des lycées. Elle peut devenir propriétaire des locaux. C’est automatique lorsqu’elle en a assuré la construction ou la reconstruction, sinon il faut un accord avec les collectivités locales qui en étaient les précédents propriétaires. Depuis 2004, la région devient également responsable du recrutement et de la gestion – et, donc, de la rémunération des personnels non enseignants de ces établissements (personnels dits « TOS » : techniciens, ouvriers et de services).

Les régions financent également les projets pédagogiques et périscolaires présentés par les établissements scolaires. Elles proposent des bourses d’équipement professionnel ou pour des stages à l’étranger et, dans la quasi-totalité des cas, elles ont adopté des dispositifs en faveur de la gratuité des livres scolaires : achat des livres, chèques-livres, bourses d’équipement…

Bien que l’enseignement supérieur relève de l’État, les régions participent aussi au financement des universités (plan Université 2000) et interviennent en matière d’enseignement supérieur. Certains de ces crédits ont une utilité sociale : rénovation de campus, soutien au logement étudiant, à des programmes de recherche publique, bourses de mobilité internationale, etc. Mais il faut souligner que, pour l’essentiel, les crédits affectés au soutien à l’université et à la recherche constituent en réalité des subventions aux entreprises privées. C’est particulièrement le cas pour le financement des pôles de compétitivité – associant grandes entreprises et institutions publiques de recherche – par la politique dite de valorisation de la recherche, autrement dit de création d’entreprises par des chercheurs ou par le soutien direct à des programmes de recherche privés ou destinés à soutenir des entreprises privées. Enfin, les conseils régionaux de gauche financent indistinctement universités publiques et privées.

Formation professionnelle

Dans ce domaine, la région est le principal acteur institutionnel. Depuis la loi du 13 août 2004, la région «définit et met en œuvre la politique régionale d’apprentissage et de formation professionnelle des jeunes et des adultes à la recherche d’un emploi ou d’une nouvelle orientation professionnelle». La région élabore un plan régional de développement des formations professionnelles. Chaque année, elle élabore également un programme d’apprentissage et de formation professionnelle continue. La région exerce aussi des compétences en matière de formation aux carrières sanitaires et sociales

Transports

Sous des dénominations variables, les régions élaborent un « schéma régional des infrastructures et des transports ». Elles organisent des services de transport routier non urbain des personnes. Depuis le 1er janvier 2002, les régions sont l’autorité organisatrice des transports ferroviaires de la région, sauf en Île-de-France. C’est dans ce cadre que les régions signent des conventions régionales avec la SNCF et RFF (Réseau ferré de France) concernant les TER (transports express régionaux). Ces conventions donnent souvent lieu à des conflits, les régions étant sous pression devant le désengagement de leurs partenaires, sans oublier l’État : fermeture de gares, suppressions de postes, augmentation des péages perçus par RFF, priorité donnée par la SNCF aux grandes lignes, etc.

À notre avis

La question clé du « transfert des compétences » – en particulier, les trois ci-dessus pour ce qui concerne les régions – est celle du démantèlement des services publics. Ce démantèlement prend la forme du désengagement de l’État, de la réduction de ses interventions et de la décentralisation des déficits. Il a un double résultat : le développement des inégalités entre territoires pour ce qui est de l’accès aux services publics et des attaques contre le statut des fonctionnaires. C’est bien pour cette raison que les ultra-libéraux, comme Alain Madelin, ont toujours été les plus fervents partisans des politiques de décentralisation.

Autres compétences

Toutes les collectivités ont une action économique. Mais, depuis 2004, il est également prévu que la région « coordonne sur son territoire les actions de développement économique des collectivités et de leurs regroupements ». Elle n’est cependant pas « chef de file » comme envisagé dans le texte initial. La loi du 13 août 2004 confie à la région, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, l’élaboration d’un Schéma régional de développement économique qui définit les orientations stratégiques des régions en matière économique.

L’action économique des régions inclut notamment la définition du régime des aides économiques aux entreprises et la décision de leur octroi. La loi de 2004 a supprimé, pour des raisons de compatibilité avec le droit communautaire, la distinction qui existait depuis 1982 entre aides directes, telles que la prime régionale à l’emploi, et indirectes, telles que les garanties d’emprunt. La distinction s’opère désormais entre aides économiques et aides à l’immobilier. Par ailleurs, les autres collectivités peuvent mettre en œuvre leurs propres régimes d’aides économiques en accord avec la région. Face aux critiques des anticapitalistes contre les subventions aux entreprises, les conseils régionaux soulignent souvent que l’intervention économique est marginale en terme budgétaire. C’est pourquoi il importe de rappeler que le soutien aux entreprises passe en fait le plus souvent par les budgets consacrés à la formation professionnelle ou aux universités et à la recherche.

Les régions interviennent également en matière d’aménagement du territoire et de planification, principalement à travers l’élaboration d’un Schéma régional d’aménagement et de développement du territoire (SRADT). Celui-ci définit notamment les objectifs de localisation des grands équipements, des infrastructures et des services d’intérêt général de la région et doit être en cohérence avec les politiques de l’État et des autres collectivités.

La région signe avec l’État des contrats de projets qui recensent les actions co-financées comme, par exemple, le plan Université 2000. Ces contrats succèdent aux anciens contrats de plan et leur première génération couvre la période 2007-2013. Ils doivent se concentrer sur la compétitivité et l’attractivité des territoires, le développement durable et la cohésion sociale.

Les régions ont également la possibilité d’intervenir sur le commerce et l’artisanat ou l’agriculture, via les aides aux coopératives d’utilisation de matériel agricole (Cuma) ou les retenues collinaires. Autre domaines d’action possible : l’eau avec les schémas d’aménagement et de gestion des eaux (Sage), la reconquête de la qualité des eaux, les inondations ou encore la protection des zones humides… Les régions interviennent également sur la culture (aides aux associations, festivals, patrimoine…), l’environnement (agenda 21, parcs régionaux…), la politique de la ville, les TIC, l’énergie, etc. Enfin, le domaine de la santé, auparavant peu développé, a effectué un bond en avant très important avec la loi de 2004, avec la possibilité, comme les communes et les départements, d’exercer des activités en vaccination, lutte contre la tuberculose, la lèpre, le sida dans le cadre d’une convention avec l’État. À titre expérimental, les régions qui en ont fait la demande ont également la possibilité de participer au financement et à la réalisation d’équipements sanitaires, dans un délai d’un an après l’entrée en vigueur de la loi et pour une durée de quatre ans.

Fiscalité et budget des régions

Le nouvel article 72-2 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle du 28mars 2003, vise à garantir l’autonomie financière des collectivités territoriales. La loi organique du 29 juillet 2004 précise que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent (...) une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources ». Elle définit le terme de « ressources propres » et établit que leur part ne peut être inférieure à celle constatée en 2003. Les collectivités territoriales peuvent être autorisées, dans les limites données par le législateur, à fixer l’assiette et le taux des impositions de toute nature.

Cette précision apportée par la loi est liée à une forte évolution, depuis une dizaine d’années, des rapports de l’État avec les collectivités locales, qui a été marquée par le développement des allègements fiscaux qui, pour les régions, sont censés être compensés par l’État : part « salaires » des bases d’imposition de la taxe professionnelle, taxe additionnelle régionale aux droits de mutation, part régionale de la taxe d’habitation, suppression de la vignette…

Autres phénomène en expansion : les transferts de compétences liées à la décentralisation. Pour les régions, il s’agit principalement, depuis 2004, de la question des TOS. Plus que sur les allègements fiscaux, c’est surtout sur ce dernier point que les régions s’estiment lésées par l’État. À juste titre, d’ailleurs…

Ainsi, l’État est devenu le premier contribuable des collectivités : 33 % de la fiscalité directe en 2003. Du point de vue de l’ensemble des dépenses des collectivités locales, les régions ont encore un poids très modeste. En 2004, elles ne pesaient que 11,5 %… contre 34,4 % aux départements. Et 54,1 % aux communes ! Dans le budget régional, comme il a été dit précédemment, la part la plus importante revient aux lycées, à la formation professionnelle et aux transports. Ainsi, en 2004, les seules dépenses relatives à l’entretien des lycées et à la formation professionnelle représentaient, avec 6,6milliards d’euros, plus du tiers des dépenses. Ces dépenses sont montées à 7,9milliards en 2006 et 9,5 milliards en 2007.

Une étude du ministère des Finances datant de 2005 indique que parmi les dépenses pour l’action économique des collectivités locales, les subventions aux entreprises sont la principale forme d’intervention avec 1,9milliard d’euros, soit près du tiers de l’intervention économique. Une étude sur les budgets 2006 fait apparaître la répartition suivante : transports (25,1 %), enseignement (20,2 %), formation professionnelle et apprentissage (19,7 %). Soit les deux tiers des budgets sur ces trois postes. Viennent ensuite l’action économique (8,2 %), les services généraux (7,1 %), les annuités de la dette (6,2 %), l’aménagement du territoire (5,9 %), la culture, les sports et les loisirs (3,9 %), l’environnement (2,5 %). Et enfin la santé et l’action sociale (0,8 %)…

La fiscalité des régions repose principalement sur la taxe professionnelle et sur les taxes foncières (les régions ne lèvent plus la taxe d’habitation). La principale dotation de l’État (DGF) a été peu revalorisée et les transferts de compétences n’ont effectivement pas été compensés à l’euro/l’euro comme s’y était engagé le gouvernement.

À notre avis

La politique du gouvernement vise deux objectifs assez contradictoires. D’un côté, elle vise à désengager l’État, dans toute une série de domaines et obliger ainsi les collectivités à intervenir. Mais, d’un autre côté, le gouvernement n’hésite pas s’en prendre aux dépenses des régions : « Que les dépenses des collectivités locales augmentent de 3 à 4 % en volume, c’est évidemment incompatible avec notre objectif de diminution du poids de la dépense publique. » (éric Woerth, le 25 juillet 2007). Quant à Sarkozy, le 20 octobre 2009, il n’hésitait pas à stigmatiser une nouvelle fois les collectivités, jugeant insupportable qu’elles « continuent à créer plus d’emplois que l’État n’en supprime »…

Le résultat est imparable : en 2009, la fiscalité des collectivités locales aura augmenté de 8,1 %, dont 3,4 % dus aux taux votés par les collectivités et 4,6 % à la revalorisation des bases locatives. C’est dans les régions que l’augmentation des taux a été la plus modeste. Proximité des élections oblige !

Au final, la logique du gouvernement est bien de forcer les collectivités à se mouler dans le cadre des politiques néolibérales, à l’exemple de la RGPP (Révision générale des politiques publiques). Dans ce cadre, pas de problème pour le patronat : la suppression de la taxe professionnelle sera tout bénéfice pour lui. Alors que toutes les collectivités locales voient ainsi leur principale ressource disparaître sans garantie de compensation par l’État…

Les régions et l’Europe

La politique régionale de l’Union européenne (UE) a pour objectif de renforcer la cohésion économique et sociale de son territoire et d’atténuer les inégalités de développement. Au plan budgétaire, c’est le deuxième poste, après la politique agricole. Pour la période 2007-2013, plusieurs objectifs ont été définis : d’abord l’objectif « convergence » qui vise à favoriser le développement des régions « en retard ». 82 % des crédits sont affectés à cet objectif. Vient ensuite l’objectif « compétitivité régionale et emploi », avec 16 % des crédits ; et enfin l’objectif « coopération territoriale européenne » (interrégionale et transfrontalière), avec 2,5 % des crédits.

Les instruments financiers sont le Feder (Fonds européen de développement régional) qui intervient sur les trois objectifs, le FSE (Fonds social européen) qui intervient sur les deux premiers objectifs et enfin, le fonds de cohésion aide les États dont le revenu national brut par habitant est inférieur à 90 % de la moyenne communautaire.

L’élargissement à l’est de l’Union européenne a rebattu entièrement l’affectation de ces fonds, dont avaient largement bénéficié dans la période précédente des pays comme l’Espagne, le Portugal, la Grèce et l’Irlande. De nouvelles institutions ont été mises en place. Le Comité des régions est formé de 344 membres (et autant de suppléants), désignés parmi les élus régionaux ou locaux par le Conseil de l’Union européenne sur proposition des États membres. Ce comité est obligatoirement consulté par le Conseil ou la Commission pour toute une série de domaines. L’Assemblée des régions d’Europe est composée de représentants directement délégués par les régions, évidemment, la plupart des régions ont ouvert leurs propres bureaux à Bruxelles.

À notre avis

La présentation précédente est assez simplifiée. En réalité, il y a une multiplication invraisemblable de programmes et sous-programmes – par exemple : Interreg III, UrbanII, Leader +, Equal, etc. – dont les procédures très lourdes poussent les régions à développer de réelles politiques de lobbies auprès de Bruxelles.

Comme le note Yves Salesse : « De 1960 à 1973, la forte croissance s’est accompagnée d’une convergence entre les États de l’actuelle Communauté. Or il n’y avait pas de politique régionale. De 1975 à 1985, période de faible croissance, les disparités se sont accrues entre États et à l’intérieur de chacun d’eux. »

C’est dire que l’efficacité de la politique régionale de l’Europe est moins liée aux sommes investies… qu’à l’environnement économique général.

Lucien Sanchez