Entretien avec Didier Menard, médecin à Saint-Denis (93) et vice-président du Syndicat de la médecine générale (SMG).
Soutiens-tu la grève des médecins hospitaliers ?La grève des chirurgiens et autres médecins adeptes du dépassement d’honoraires est d’une telle indécence que même eux finissent par s’en apercevoir.Ils arrêtent leur grève car cela pénalise les malades. Quelle découverte ! Et pendant qu’ils sont dans une phase propice de prise de conscience, ils vont peut-être comprendre que les dépassements d’honoraires aussi pénalisent les malades, mais là j’ai des doutes !
À vouloir trop tirer sur la corde, elle finit par céder. Le régime complémentaire ne peut plus suivre la course effrénée des dépassements d’honoraires, les cotisations atteignent de ce fait des niveaux qui ne sont plus accessibles pour la classe moyenne et c’est elle, la plus nombreuse, qui permet au système de fonctionner. Ces médecins sont donc en train de couper la branche sur laquelle ils sont assis.
Les internes se sont mobilisés pour la même revendication ?Effrayés par la crainte de ne plus pouvoir faire comme les aînéEs, c’est-à-dire s’installer là où ils le veulent pour y pratiquer les honoraires qu’ils désirent, les internes de spécialités se sont mis en grève. Mais très vite, ils se sont aperçus que cette position n’était pas tenable. Alors ils avancent des revendications plus corporatistes, à savoir leurs conditions de travail, notamment le non-respect du temps de repos après les gardes. Cela est juste, l’hôpital ne respecte pas le temps de travail des internes, on peut même se demander s’il respecte tout simplement l’interne… Sous le prétexte que celui-ci est en apprentissage, il devient corvéable à merci. Les syndicats d’internes protestent donc contre cette situation mais ce n’est pas une raison pour penser que puisqu’ils sont victimes de cette injustice, il est normal qu’ils se rattrapent une fois les études finies dans un exercice de luxe payé par le malade ! Cela fabrique un complexe de supériorité assez nauséabond. Non, l’acte d’un médecin spécialiste, d’un chirurgien, même s’il réclame une dextérité particulière, n’a pas plus de valeur que celui d’un médecin généraliste qui fait face à la complexité d’une situation de maladie chronique. Cela ne justifie en rien un dépassement d’honoraires. En plus cela ne règle en rien la question de l’adaptation du système de l’offre de soins libérale aux nouvelles réalités.
Quelles sont ces nouvelles réalités du système libéral ? Ce système est à bout de souffle. Les valeurs sur lesquelles il s’est construit en 1928 ne sont plus adaptées aux défis de santé d’aujourd’hui. Le paiement à l’acte, l’exercice solitaire, la liberté d’installation, ne répondent plus aux besoins des populations. Quelle est la liberté de choix du patient pour le médecin quand ce choix se fait par l’argent ? Les maladies d’aujourd’hui ne sont plus celles d’hier. Pour y faire face, il faut un autre mode d’organisation tourné vers l’organisation collective. Le médecin n’est plus le seul à agir sur le parcours d’une personne malade. C’est un ensemble d’acteurs de différents champs qui agissent : du sanitaire, du social, de la solidarité des aidants familiaux, et bien d’autres encore qui apportent des solutions aux problèmes des malades. Le médecin libéral spécialiste revendique de conduire une micro-entreprise libérale pour exercer son métier, et les honoraires qu’il réclame sont utilisés pour faire vivre cette micro-entreprise.
Que propose le Syndicat de la médecine générale ?A ce modèle très libéral, nous opposons la construction d’un service public de santé de proximité. L’important, c’est le premier recours, celui qui permet d’entrer dans le système de santé. Il doit être organisé de manière collective dans des structures implantées sur le territoire où travaillent différents soignants en lien avec l’action sociale. Ces structures pratiquent la santé communautaire, c’est-à-dire avec et pour la population. Les modes de rémunération sont variés et adaptés à la situation du territoire. Cela peut être le salariat, la capitation, la forfaitisation... L’important est de permettre la mise en œuvre d’un projet de santé qui réponde aux besoins de la population, population qui participe à la vie de ces structures, faisant par là même vivre la démocratie sanitaire. Cela n’est pas une utopie, des lieux existent déjà en France où des soignants font vivre ces projets de santé. Propos recueillis par Christian Bensimon