L’été a été chahuté pour Emmanuel Macron, à l’image du défilé du 14 Juillet, auquel des Gilets jaunes se sont invités. Avec quinze démissions de ministres et de secrétaires d’État, le dernier en date étant François de Rugy, il dirige le gouvernement qui, depuis 15 ans, aura usé ses membres le plus rapidement. Cela illustre le coût politique des attaques qu’il organise contre les classes populaires, et auxquelles le mouvement ouvrier doit chercher à mettre fin en cette rentrée.
Pourtant, le gouvernement n’envisage pas un quart de seconde de ralentir ses attaques. Dans le contexte de guerre économique mondiale que nous vivons actuellement, il cherche à réduire la part de la valeur ajoutée qui va aux travailleurs/ses pour la transférer au capital. Le rapport d’Oxfam a révélé que la France est bel et bien engagée sur cette voie, étant « le pays au monde où les entreprises cotées en Bourse reversent la plus grande part de leurs bénéfices en dividendes aux actionnaires ». La volonté de limiter à 14% du PIB la part des richesses consacrées aux retraites, alors que la population retraitée augmente, s’inscrit dans cette démarche. Il s’agit de réduire les pensions coûte que coûte, puisqu’il ne saurait en réalité être question de faire travailler jusqu’à 67 ans ou plus les salariéEs dans une période où le chômage des seniors est massif et où la durée de vie stagne, voire se réduit, tout comme la durée de vie en bonne santé. Selon l’épidémiologiste américain Philip Landrigan, du Boston College, cité par Le Monde,« la montée des inégalités est la première cause de cette stagnation de l’espérance de vie ». « Même dans un pays comme la France, avec son accès universel aux soins, l’augmentation du nombre de pauvres va tirer l’espérance de vie vers le bas. D’autant que ce sont aussi eux qui subissent le plus lourdement les effets de la pollution de l’air ».
Casser les retraites
Les hésitations sur « l’âge pivot » ressemblent fort à de l’enfumage : après avoir fait miroiter qu’il serait possible de partir avec une retraite à taux plein à 64 ans, le gouvernement rétropédale en ne parlant plus que de la durée de cotisation… et ayant habitué l’opinion publique à parler de 64 ans comme âge de référence au lieu des 62 ans.
Le fond de l’affaire est pourtant de savoir au bout de combien d’annuités, et à quel âge, on peut partir avec une retraite permettant de vivre correctement. Actuellement, l’âge moyen de départ s’établit autour de 63 ans, et la retraite moyenne est de 1294 euros nets par mois (1617 euros pour les hommes, 990 euros pour les femmes…).
Les projets du gouvernement visent à réduire les pensions, une nouvelle fois. Mais surtout, par la pseudo-unification du régime de retraites et le système par points, à casser tout rapport collectif aux retraites. Si les retraites sont calculées sur l’ensemble de la carrière au lieu des dernières années, et si chacun accumule des points, autant dire qu’on n’y comprendra plus rien et que chaque salariéE se retrouvera seulE face à ses difficultés.
Les retraites, « la mère des batailles » ?
Il s’agit pour le gouvernement d’en finir avec le constat que la protection sociale constitue un profond unificateur de la classe laborieuse : en 1995, en 2003, en 2010, le monde du travail s’est mobilisé pour les retraites, certes essentiellement dans le secteur public, mais avec le soutien de différentes couches sociales au travers de ce qui fut désigné comme une « grève par procuration ». Dans la situation actuelle de crise économique et de chute de la légitimité de Macron, patronat et gouvernement se passeraient bien de ces confrontations de masse, qui peuvent déboucher sur des remises en cause politiques bien plus larges que les revendications mises en avant au départ de l’action. De notre point de vue, il s’agit justement de défendre cet acquis social fondamental qu’est la protection sociale, de s’en servir comme ce qu’elle est : un secteur refuge pour les travailleurs.ses, une base arrière partiellement extraite des rapports capitalistes, pour unifier et mener au combat global contre les classes possédantes. La prise en charge par l’impôt des systèmes de solidarité visant à compenser partiellement les pertes de points pour les femmes, les précaires ou autres, ainsi que le recours à des caisses privées pour augmenter les pensions pour celles et ceux qui en auront les moyens, tout cela s’inscrit dans le projet global de privatisation du système de protection sociale dont le budget représente un quart du PIB, c’est-à-dire plus que le budget de l’état. Un objectif de hold-up dont rêvent des fractions de la bourgeoisie. Le système de retraites par répartition montre qu’il est possible de sortir des rapports de concurrence de larges sphères de la société, alors que l’objectif du gouvernement est au contraire d’y faire rentrer de nouveaux secteurs. C’est ce qui est constaté dans l’éducation avec les réformes Blanquer, ou à la SNCF avec la mise en place de la réforme, ou encore avec la privatisation d’ADP et, dans un autre style, de la Française des Jeux. La mobilisation des Gilets jaunes, qui n’a peut-être pas dit son dernier mot, montre aussi une soif de ne plus subir l’augmentation des inégalités, l’enrichissement d’une minorité et l’appauvrissement des classes populaires, notamment des retraitéEs.
Une rentrée sous le signe des mobilisations
Les dates de mobilisation s’accumulent déjà en septembre. Pour les retraites, à la Ratp le 13 septembre, mais chez les pilotes, les avocats, les infirmières le 16 septembre. Contre les réorganisations à EDF le 19. Pour les retraites à l’appel de FO le 21, à l’appel de la CGT et des syndicats de la SNCF le 24 septembre. Tandis qu’une partie du mouvement social avait prévu, en amont, de faire de la signature de la demande de référendum pour ADP le cœur de son activité de rentrée. Les perspectives sont donc fortement séparées par les appareils syndicaux, qui n’envisagent pas manifestement de construire un mouvement unifié contre Macron et le patronat, encore moins une grève générale. Mais ce n’est pas vraiment une surprise. La CFDT a même indiqué que sur la question des retraites, elle faisait le « choix de la concertation1 ».
Pourtant cette orientation ne masque pas les mobilisations qui semblent s’exprimer dans divers secteurs. En plus de celles déjà citées plus haut, la grève des urgences continue malgré les obstacles. Des grèves sont annoncées dans l’Éducation en raison des difficultés budgétaires de la rentrée et des réformes Blanquer. Le référendum pour ADP a recueilli 700 000 signatures sur les 4,7 millions nécessaires avant le 12 mars 2020.
L’illégitimité du gouvernement Macron et l’usure de son gouvernement montrent que la voie de la contestation n’est pas bouchée, à condition, entre autres, de ne pas la détourner vers des perspectives électorales comme les élections municipales.
La bataille de l’unité
Le gouvernement, malgré ses difficultés, a montré qu’en s’appuyant sur la force des institutions antidémocratiques de la Ve République (49-3, état d’urgence, ordonnances), chaque année plus répressives, il était capable de tourner le dos aux mobilisations et de se maintenir. Nous avons donc besoin, comme de plus en plus régulièrement ces dernières années, de mouvement massifs, unitaires pour obtenir des victoires. Un mouvement qui ressemble le plus possible à une grève générale, touchant divers secteurs en grève reconductible, en entrainant d’autres, mêlant revendications concrètes et mots d’ordre politiques.
La division des forces est un obstacle très important sur cette route. Sans illusion mais sans réserve, nous interpelons l’ensemble des courants du mouvement ouvrier, partis, syndicats, associations, pour agir ensemble contre Macron et le patronat, pour unifier les luttes, les mener toutes de façon coordonnée. Il faut mettre en difficulté les forces qui refusent cette unité, que ce soit pour en réalité chercher des accords avec le gouvernement comme la direction de la CFDT, ou que ce soit en raison d’objectifs électoraux. Faire en sorte que les bases militantes dans toutes les organisations se positionnent pour une action coordonnée, en particulier par le biais de prises de positions locales, dans les villes, les quartiers, les entreprises.
La question des retraites est, de ce point de vue, un point de départ important, tant sur la forme – la nécessité d’une riposte militante unitaire, que sur le fond – le combat contre la concurrence généralisée, les privatisations, les inégalités sociales. Nous devons avancer des revendications unifiantes, comme la retraite à taux plein à 60 ans pour touTEs (55 ans pour les métiers pénibles), le partage du temps de travail sans perte de salaire (pour financer les retraites comme en finir avec le chômage), l’arrêt des privatisations, 300 euros d’augmentation mensuelle pour touTEs, l’arrêt de la répression policière et raciste, le départ de Macron.
Et la mise en action immédiate
Se battre pour l’unité, interpeler les autres courants, n’est pas une démarche suffisante pour obtenir les succès auxquels nous aspirons. En effet, les journées de grève sans lendemain, qui sont en quelque sorte le summum de la combativité des appareils syndicaux, ne suffisent pas pour gagner, comme les luttes de ces dernières années l’ont montré. Les manifestations du samedi non plus, même quand elles ont été aussi massives et déterminées que celles organisées par les Gilets jaunes. Il faudra que des secteurs entiers s’engagent dans des grèves reconductibles, que ce soit des entreprises particulières, des départements ou des villes. La grève produit un effet très particulier et irremplaçable : en sortant les salariéEs de la production et de la pression de la vie quotidienne, elle leur permet de construire des solidarités et une vision d’ensemble des rapports de forces et des problèmes politiques que posent les mobilisations.
De ce point de vue, le regroupement des courants qui sont prêts à construire ce type de mouvement, sans attendre l’unité la plus large, peut jouer un rôle positif d’entraînement. Il ne s’agit pas de se couper des organisations ou des couches qui ne sont pas prêtes à se mobiliser. C’est d’ailleurs un des risques majeurs dans les luttes actuelles : une partie des salariéEs mobiliséEs sont prêtEs à partir en grève dure, organisent des assemblées générales, sont même prêtEs à des confrontations avec les forces policières, mais ils et elles ne parviennent pas à se lier aux travailleurs.ses qui ne sont pas convaincuEs des revendications, de la possibilité de gagner ou de la tactique à suivre.Il s’agit donc de jouer un rôle de locomotive pour accélérer les rythmes. D’organiser des tournées sur les lieux de travail, des diffusions de tracts, d’appeler à unifier les différentes actions, mais aussi rédiger des argumentaires, des appels à la grève, formuler des revendications unifiantes et radicales, organiser des assemblées générales. De la même façon, ces dernières se soldent parfois par des réunions sans réelle représentativité, qui tentent de diriger des grèves sans en avoir la légitimité, ce qui décrédibilise l’AG et aide les appareils syndicaux à ne pas construire les structures d’auto-organisation. Cette dernière ne s’entend que si elle représente effectivement réellement un secteur mobilisé, qu’elle dépasse les militantEs habituelLEs, notamment en répondant à des objectifs et tâches pratiques pour la construction de la lutte.
Cette tactique se décline pour l’essentiel sur le plan local, avec les organisations qui ont soutenu les Gilets jaunes (des sections syndicales CGT ou Solidaires, des collectifs de lutte contre les violences policières…) pour proposer des appels à la grève, des assemblées de discussion interprofessionnelles, des revendications communes.
ll s’agit de faire profiter les prochaines mobilisations des leçons de ces dernières années, de la reconstruction de collectifs de lutte, sans se mettre à dos le « vieux » mouvement ouvrier, dont les appareils s’entendent pour freiner les mobilisations, mais dont les forces vives possèdent encore, et il faut en profiter, une capacité de mobilisation et une conscience politique irremplaçables.