Que l’on parle de convergence des luttes, de coagulation selon la vilaine expression macronienne ou de grève générale, comme dans la tradition ouvrière, de quoi s’agit-il ? La question se pose, à entendre cette petite musique insistante sur l’impossibilité, l’utopie voire la chimère d’une convergence des luttes.
D’un côté, ceux qui essaient de diviser le mouvement insistent sur les particularités de chaque situation, faisant croire que l’on serait plus forts en se battant seuls sur ses revendications, car on aurait plus de chances de faire entendre sa voix sans qu’elle soit fondue dans un tout.
Pour certains, tel Jean-Luc Mano, ancien militant communiste et président de l’UNEF-Renouveau de 1976 à 1979, la convergence des luttes est « un mythe trotskyste qui a la peau dure, car on en parle encore » ! Le chroniqueur politique de France Inter prétend qu’il n’y a rien de commun entre un cheminot qui veut garder son statut, une aide-soignante d’Ehpad qui ne parvient plus à faire son métier et un pilote d’Air France qui entend avoir sa part des bénéfices de l’entreprise. Un dirigeant syndicaliste comme Laurent Berger, de la CFDT, ne dit pas autre chose lorsqu’il déclare que « la convergence, ce n’est pas notre tasse de thé », estimant que cette approche est un « leurre » pour les travailleurs.
Ce qui n’est pas un leurre, cependant, ce sont les reculs dans tous les secteurs, dus justement à cette non convergence, à cet éparpillement, émiettement, savamment entretenu. Ce qui n’est pas un leurre, c’est l’acharnement des gouvernements successifs contre les salariés. Tous ont appliqué depuis des décennies un plan de défense des riches, au détriment de nous tous. Résultat : des services publics de plus en plus délabrés, des entreprises qui continuent comme jamais à délocaliser, à licencier, et à pressuriser les salariés.
Bien entendu, on n’est jamais assurés de gagner, même si on s’y met tous ensemble. Et il est vrai aussi qu’une grève générale, ça ne se décrète pas. Mais au moins, cela s’organise. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les organisations syndicales organisent plutôt la... désorganisation, même la CGT qui est avec Solidaires la seule à parler de convergence. Car le calendrier des actions est totalement émietté : les fonctionnaires d’un côté le 19 mars, le 19 avril puis le 22 mai, les cheminots deux jours sur cinq, les enseignants le 3 mai, et de nouveau le 22. Que l’on organise une montée en puissance des luttes, ce serait compréhensible, en proposant aux différents secteurs de se compter, de prendre confiance en leur force. Mais ce qu’on propose aux salariés ne ressemble en rien à un tel plan concerté, capable de mener à une victoire, à un recul du gouvernement. On ne voit pas un quelconque plan d’ensemble, clair, comme peut l’être celui du gouvernement.
Cette nouveauté de la grève cheminote deux jours sur cinq en est un exemple flagrant. Il s’agit d’une tentative, au nom de l’unité syndicale, de garder un entier contrôle sur le mouvement, en faisant pression sur le gouvernement dans le but d’aller négocier. Négocier quoi ? Contrairement à 1995, tous les syndicats ne demandent pas le retrait pur et simple du projet, mais une négociation, des aménagements que le gouvernement, droit dans ses bottes, refuse même d’envisager, y compris lorsqu’il envoie pour la galerie son Premier ministre rencontrer les syndicats, comme le 7 mai.
Or la grève des cheminots pourrait tout à fait aboutir à une convergence, car elle est tout sauf corporatiste. Elle défend en effet des revendications communes à tous les salariés : l’assurance de conserver leur emploi, leur salaire, leur retraite, la défense de leurs conditions de travail pour aujourd’hui et pour demain, pour eux comme pour les futurs embauchés. Ce sont justement des revendications dans lesquelles tous les travailleurs peuvent se reconnaître, car ce sont les mêmes attaques qu’ils vivent au quotidien.
Leur lutte est d’autant moins corporatiste que les cheminots actuels ne seraient pas concernés par la fin du statut. Le gouvernement s’est d’ailleurs cru malin en tablant sur le fait que seuls les futurs embauchés étant concernés, le mouvement ferait long feu. Or il n’en est rien. Les cheminots refusent que les générations futures soient condamnées à des emplois au rabais, c’est pourquoi le mouvement tient si longtemps !
Le fait qu’il y ait des rapprochements entre différents secteurs en lutte, par la présence d’étudiants, de postiers, d’agents EDF et d’autres aux AG et aux manifestations cheminotes, et que des travailleurs du rail aillent soutenir d’autres salariés en mouvement, montre la voie. C’est, dans les faits et en pratique, comme cela qu’une convergence peut se construire.