La grève a démarré début juillet et continue à ce jour. Les 26 grévistes de la communauté Emmaüs de la Halte Saint-Jean à Saint-André-lez-Lille (Nord) luttent pour faire valoir leurs droits. Ils dénoncent les conditions de travail et de vie indignes et la non-obtention de papiers après plus de trois années passées comme bénévoles au sein de la structure.
Comme le titre l’un de leurs tracts : « Emmaüs c’est l’enfer » : un travail de 40 heures/semaine en moyenne, payées 150 euros/mois une fois déduits le loyer de l’hébergement et la restauration fournie par Emmaüs (1,50 euro/jour, pour une nourriture composée exclusivement de dons). À cela s’ajoutent les comportements autoritaires et racistes de certains chefs : « Il y a trop de Noirs ici », « Rentrez dans votre pays ». La directrice de la Halte, Anne Saingier (également directrice d’Emmaüs Nord-Pas-de-Calais), nie toutes ces accusations.
Grève auto-organisée avec de nombreux soutiens
Iels sont soutenuEs par la CGT Tourcoing et le Comité des Sans-Papiers (CSP 59). À mesure qu’iels font connaître leur grève, les soutiens se multiplient : politiques, syndicaux, associatifs et individuels, par exemple Sud transports et la CGT du CHU de Lille, qui a remis un chèque, mais aussi les grévistes de Vertbaudet.
Voici quelques brefs extraits du communiqué de presse rédigé par les grévistes : « Nous tenons un piquet de grève devant l’établissement avec la CGT 59 et le CSP 59 et des soutiens pour dénoncer le système esclavagiste et le travail dissimulé au sein de la communauté. Nous n’avons pas été recontactés par la Direction suite à une réunion non concluante le 5 juillet.Nous poursuivons ainsi la grève de manière illimitée » Chaque matin, la suite de la grève est soumise à un vote ; elle est unanimement reconduite. Chaque après-midi, vers 16 heures, une assemblée générale recense les besoins des grévistes et organise les actions, la communication...
L’ensemble des grévistes a porté plainte pour « traite d’êtres humains », après une enquête ouverte par le parquet.
Ce n’est pas un cas isolé
Le village Emmaüs de Lescar-Pau (Pyrénées-Atlantiques) est dénoncé aussi pour les conditions de vie et de travail insupportables : expulsions arbitraires, sans préavis et en pleine trêve hivernale, refus d’accueillir toute personne frappant à la porte, quels que soient son parcours, son origine, sa confession ou son âge, exploitation. À en croire les témoignages, plusieurs autres communautés d’Emmaüs sont concernées.
Ces dérives, exposées aujourd’hui au grand jour, d’une association caritative qui avait pignon sur rue (et qui n’est certainement pas la seule) est une conséquence dramatique de l’abandon de l’État à des intérêts privés pour prendre en charge et pour lutter contre l’exclusion sociale. Dans cette société où tout s’achète et tout se vend, il est extrêmement sinistre de faire le constat que même la gestion de la misère sociale peut devenir un marché juteux.
Un statut datant de Sarkozy
Le cadre légal participe à précariser les conditions d’accueil. Après son départ de la présidence d’Emmaüs en 2007, Martin Hirsch a intégré le gouvernement Fillon. Le président de l’époque, Nicolas Sarkozy, lui a alors confié la tâche d’élaborer la loi sur le revenu de solidarité active (RSA), à laquelle Martin Hirsch a ajouté un statut des personnes accueillies dans les « organismes d’accueil communautaire et d’activités solidaires (OACAS) ». Avec ce statut juridique, les communautés Emmaüs peuvent faire participer légalement les compagnons à « des activités d’économie solidaire afin de favoriser leur insertion sociale et professionnelle ». Jusqu’ici, rien n’encadrait le concept inventé par l’abbé Pierre.
Toutefois, cet article 17 semble faire des compagnons des citoyens de seconde zone. S’ils sont autorisés à travailler 40 h par semaine, ils ne jouissent pas pour autant du statut de salariés. En excluant les compagnons du droit du travail, ce statut OACAS les prive surtout de la possibilité d’avoir recours aux prud’hommes en cas de conflit avec un responsable. Il les prive également du salaire minimum légal, ainsi que d’un contrat de travail, d’où les expulsions sans préavis. D’une part il n’y a rien de prévu pour l’insertion. D’autre part, en ce qui concerne la régularisation des sans-papiers travaillant dans les centres Emmaüs depuis 3 ans, seules quatre communautés Emmaüs auraient obtenu l’agrément.
Commission nationale immigration et antiracisme