Le 4 juin, une loi d’évolution du renseignement, proposé par Jean Castex et Gérald Darmanin, a obtenu le vote favorable de l’Assemblée nationale, avec seulement 1/5e des députés. Le mois dernier, était publié le rapport annuel de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignements (CNCTR) – chargée de veiller au respect du cadre légal des écoutes numériques.
La pandémie de 2020 donne un visage singulier à ce rapport : la dynamique croissante du nombre de personnes surveillées s’est arrêtée (– 1,2 %). Sur le plan des motifs, après une décrue régulière, la « prévention du terrorisme » compte 1 000 surveillés supplémentaires (passant de 35 à 40 % des cas). Logiquement, tous les autres motifs de surveillance sont en recul, à l’exception de la « défense des intérêts géostratégiques » et de la… « prévention des violences collectives ». Motifs qui avait bondi depuis le début du mouvement des Gilets jaunes fin 2018. Cette année encore, environ 200 personnes supplémentaires sont mises sous surveillance ; là où la « criminalité organisée » en perd 600. Une diminution que le CNCTR juge consécutive aux politiques de restriction et de confinement. Un chemin différent pour les « violences collectives » alors que les manifestations et les participations à ces rendez-vous ont elles aussi diminué en 2020…
Les algorithmes définitivement ancrés
Dispositif controversé par son caractère automatique et systématique, les algorithmes, aussi appelés « boites noires », sont au nombre de trois sur le territoire national (il y en a vraisemblablement sur les nœuds réseaux frontaliers, mais relevant de l’usage militaire). Captant une grande quantité de métadonnées (d’où, vers quoi, quand) des connexions, ces sortes d’intelligences artificielles (IA) font émerger des profils suspectés « terroristes », vérifiés ensuite humainement. Entre 2015 et 2019, 10 individus avaient été repérés par cette technique. Justifiant leur normalisation alors qu’elles avaient un titre expérimental, Darmanin expliquait à France Inter le 28 avril que « depuis 2017, 35 attentats ont été déjoués sur le territoire national, dont deux grâce à des traces numériques » (mais « traces numériques » est-il synonyme d’algorithme dans la bouche d’un ministre habitué à la circonvolution ?).
Une extension de la captation des données
Dernier but : faire rentrer les URL (adresses d’un site ou d’une ressource web) dans la séquence des données captées. Jusqu’à présent l’URL est considérée comme une donnée « privée », tout comme les contenus transmis. Bien sûr, les services de renseignements peuvent écouter, capter les contenus, mais dans une mesure « proportionnée ». Ici il s’agit d’intégrer une information supplémentaire au niveau le plus bas. Outre le domaine déjà connu, l’URL donne la page consultée. Mieux : les URL peuvent contenir des informations saisies lors d’une interaction avec un site web (ex : une recherche). Cette donnée servirait dans les boîtes noires, mais également dans les captations manuelles type « second cercle » d’une cible (Truc, qui connaît Chose, peut être écouté parce que Chose connaît Cible, même si Truc ne connaît pas Cible).
Démanteler ces boîtes à pandores !
Pas convaincant dans la lutte contre le terrorisme, l’usage des algorithmes et l’extension du contenu capté menace les libertés démocratiques, disponible pour un pouvoir plus autoritaire, étendant ses motifs – comme la loi de 2015 – au-delà du terrorisme, à celles et ceux qui cherchent une voie alternative au pouvoir et à la logique des dominants.