La non signature de l’accord national interprofessionnel sur la formation professionnelle a mis une nouvelle fois en lumière les difficultés de la direction confédérale, et singulièrement celles du secrétaire général Thierry Lepaon, à se positionner nationalement dans les dédales du dialogue social.
Traînant comme un boulet l’échec de la stratégie du syndicalisme mise en œuvre dans la mobilisation contre la réforme des retraites de Sarkozy-Fillon, la direction confédérale s’est trouvée longuement déstabilisée par la guerre de succession déclenchée par le départ de Bernard Thibault. Thierry Lepaon a été élu secrétaire général sans vraiment de soutien et d’appui dans l’appareil CGT. Soupçonné de mollesse par les fédérations et unions départementales combatives, de manque de conviction sur la nécessité de rénover le fonctionnement, son élection à l’issue du 50e congrès confédéral a davantage mis en évidence les fractures dans la confédération que sa capacité de rassemblement.
Défaites sans batailleAffaiblie en interne, la direction confédérale a refusé d’emblée de s’opposer à un gouvernement de gauche dont elle se contente d’exiger un « changement de cap ». Se satisfaisant de l’ouverture du dialogue social, la direction de la CGT s’est placée dans l’incapacité d’organiser la mobilisation contre l’ANI sur la compétitivité des entreprises. Des rassemblements maigrelets n’ont pas permis d’empêcher la signature de la CFDT, de la CGE-CGC et de la CFTC au côté du Medef. La même stratégie aboutit au même résultat dans la bataille contre la réforme des retraites. Refusant de mettre en avant le retrait du projet de réforme, la CGT (alliée à FO, la FSU et Solidaires) attend le mois de septembre pour la première manifestation de rue. À l’issue d’une journée de mobilisation plutôt réussie, aucune initiative n’est prise, et le gouvernement fera passer sa contre-réforme quasiment sans riposte.À l’issue de ces deux défaites sans vraie bataille, la contestation se développe dans la CGT. Le nouveau rapprochement avec la CFDT, notamment dans les mobilisations bretonnes est loin de faire l’unanimité, même si le positionnement « anti-bonnets rouges » est assez largement partagé, hors Bretagne.
Lepaon désavouéLa commission exécutive confédérale et davantage encore le comité national confédéral sont agités, et la direction confédérale contrainte à des ajustements de lignes. C’est ainsi qu’est décidée et organisée la journée d’action du 6 février : appels à la grève et mobilisations dans les entreprises le matin, manifestations régionales l’après-midi, engagement de donner une suite rapide à cette journée, le tout quel que soit le retour des autres confédérations. Dans le même temps, dans le cadre de la négociation de l’ANI sur la formation professionnelle, c’est finalement la ligne d’opposition qui l’emporte, après l’avis négatif de la délégation et contre la position initiale de Lepaon. Un refus facilité par le fait que les retombées du financement de la formation professionnelle vers les syndicats sont remises en cause.
Au cœur des contradictions du syndicalisme françaisFaible syndicalisation, large dépendance des institutions étatiques ou paritaires, la voie est étroite entre la franche collaboration à la mode CFDT et l’adossement aux luttes et aux équipes syndicales combatives dans une stratégie de pression. L’audience, le poids de la CGT ont faibli depuis les années 80 et certains de ses appuis fondamentaux se sont affaissés : reculs à EDF-GDF, France Telecom, La Poste, SNCF, Renault et dans tous les secteurs composant le secteur nationalisé. Financement et renouvellement d’équipes militantes sont remis en cause. Pour autant, au travers de secteurs combatifs, la CGT reste un élément important de la défense des intérêts des salariéEs. Les campagnes de formation, de convictions sur les thèmes tels que l’antifascisme, les questions féministes et LGBT, la répression anti-syndicale, ne doivent pas être considérées uniquement comme des alibis ou des échappatoires aux questions politiques et stratégiques. Elles sont bien des outils pour l’action quotidienne.Le problème pour les militantEs radicaux vient autant des difficultés à prendre en charge les tâches du syndicalisme quotidien que de rendre visible une alternative « lutte de classes » aux positionnements confédéraux dans un contexte de dégradation du rapport de forces en défaveur des salariéEs. Ce sera un des enjeux des mobilisations qu’il sera indispensable de construire dans l’année qui vient contre les attaques sur la protection sociale, contre les licenciements ou pour les salaires.
Robert Pelletier