Depuis le 12 octobre, à l’initiative du collectif formé par la CGT, la CFDT, Solidaires, la FSU, l’Unsa, RESF, la Cimade, la LDH, Femmes Égalité, Autre Monde, Droits Devant !!, un mouvement social sans précédent avec occupation de leur lieu de travail, de plus de 4 000 sans-papiers grévistes, dont de nombreux « travailleurs isolés » s’est développé. Il démontre que les sans-papiers sont résolus à défendre des droits qu’une économie mondialisée leur dénie.
L’exploitation d’une main-d’œuvre précarisée et fragilisée de sans-papiers est rendue possible par un gouvernement hypocrite et raciste, qui incite les patrons à transiger avec le droit du travail et à accuser l’immigration d’être à l’origine de la crise pour éviter d’en désigner les véritables responsables. Comme l’explique Gary Diabate, sans-papiers en lutte de Vitry-sur-Seine « Notre lutte concerne tous les travailleurs. Les droits des travailleurs français reculent aussi, grâce à la pression vers le bas qu*fexerce l*fembauche de sans-papiers. Les sans-papiers n*font pas de salaire minimum. Cela aide les patrons pour baisser les salaires des Français ».
Malgré la pression policière sur les sites en grève, les tentatives d’expulsion et d’intimidation, leur détermination reste intacte. Le gouvernement fait tout pour affaiblir et diviser le mouvement. Il a violemment réprimé un syndicaliste CNT Porte-de-Charenton. Il a expulsé les sans-papiers qui occupaient l’agence d’intérim Synergie à Paris. Les grévistes se sont simplement répartis sur d’autres sites. Chaque jour un nouveau site est occupé : on est passé de 30 au début du mouvement à plus de 40 entreprises occupées en région parisienne actuellement.
Les sans-papiers de Vitry, qui ont choisi d’occuper un centre des impôts, veulent souligner la complicité de l’État qui perçoit en toute connaissance de cause impôts et cotisations sociales.
À nous de leur laisser la parole et de mener le combat pour construire la mobilisation unitaire la plus large possible contre une politique indigne. Dans les syndicats, les associations, à gauche, il faut développer le soutien le plus large, faire comprendre que « leur » lutte est notre lutte « à tous ». Notre solidarité de classe sera décisive pour stopper cette politique de la honte.
Paroles de sans-papiers :
Badiaga, Camara, Doukouré, Dramé, Gakou, Kouyaté, Siby, Sylla, délégués des grévistes de la Seni, entreprise du nettoyage au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), syndiqués à la CGT.
Nous, les délégués représentants des grévistes de la Seni, nous revendiquons la régularisation de tous les travailleurs sans papiers, et le plus vite possible. Nous ne sommes pas là pour détruire, nous nous battons pour nos droits. Nous travaillons sans papiers, sans sécu depuis tant d’années… Il est temps ! Nous sommes partis à 180 grévistes la semaine dernière, et nous sommes aujourd’hui 263.
Comment expliquez-vous cet élargissement ?
La lutte est partie de ceux qui sont actuellement sous contrat avec la Seni, mais nous avons parmi nous des camarades qui ont été embauchés par le passé pour des missions courtes. Dans notre piquet de grève, quelques camarades ne sont pas actuellement employés par la Seni. Certains ont été licenciés, parfois depuis cinq ans. Parmi nous quelques-uns sont en cours de régularisation. Les préfectures ne donnent aucune réponse depuis six mois ou plus. Elles bloquent manifestement les dossiers, surtout celles du Val-de-Marne et de Seine-Saint-Denis. La direction de la Seni dit avoir envoyé les dossiers et nous montre même des documents censés le prouver. Pourtant, des camarades se présentent en préfecture et s’entendent dire que leur dossier n’a pas été déposé. En fait, la direction et les préfectures nous mènent en bateau. Nous voulons que la direction débloque la situation. En attendant, nous resterons là. Nous sommes déterminés.
Le mouvement revendique une circulaire de régularisation...
Si une circulaire est gagnée, nous voulons qu’elle soit en notre faveur, qu’elle reconnaisse les sans-papiers qui vivent et travaillent ici, payent leurs impôts. Sans discrimination, même ceux qui n’ont travaillé qu’un an. Nous ne sommes pas en grève seulement pour nous. Nous voulons des papiers pour tous les travailleurs, même ceux qui travaillent au noir.
Qu’attendriez-vous de comités de soutien?
Nous attendons qu’ils nous aident à débloquer la situation. En faisant signer les pétitions, en collectant des fonds de solidarité, en participant nombreux à nos manifestations. Parmi nous, certains sont parents d’élèves : nous comptons sur le soutien du RESF, qui peut mobiliser les autres parents d’élèves et les enseignants.
Pourquoi la régularisation est-elle une revendication syndicale ?
Hier, avec la CGT, nous avons créé un syndicat des travailleurs de la Seni, avec ou sans papiers. Nous avons élu nos représentants. La lutte principale, c’est actuellement les papiers. À partir de là, nous voulons mettre en avant le droit au logement, l’augmentation des salaires, la reconnaissance du droit à la retraite, le respect de nos jours de repos, le droit aux congés maladie, la reconnaissance des accidents du travail… Toutes choses que les tôliers refusent aux sans-papiers. Nous voulons que tout le monde puisse vivre dignement dans cette terre des droits de l’homme.
Sadio Dianka a 41ans. Il est venu du Mali en 2000 et travaille dans les travaux publics. C’est avec les papiers d’un de ses cousins qu’il est employé en toute connaissance de sa situation par la Suburbaine, l’entreprise de construction du tramway parisien.
« Dès que le mouvement a été lancé, je m’y suis engagé, et j’irai jusqu’au bout. Depuis que je suis en grève, je n’ai plus peur, et je me bats pour mes droits et mon avenir. La présence des syndicats et des soutiens nous donne du courage. Même si nous sommes expulsés, nous sommes déterminés à occuper ailleurs ! Les patrons ont besoin de nous. Il y en a un qui a appelé cinq sociétés d’intérim sans trouver de main-d’œuvre à embaucher. Mais nous, grévistes, nous refusons de travailler dans la précarité, comme avant. Maintenant, ça suffit, nous voulons être régularisés.
C’est important de créer le contact avec les autres piquets de grève, c’est par l’unité que nous serons plus forts. Il faut également discuter avec nos camarades du ministère de la Régularisation, qui mènent une autre forme de lutte pour la même chose, vivre ici dans le respect et la dignité. Nous devons nous soutenir les uns les autres et nous entraider. »
Mamadou P. a quitté le pays Dogon pour venir en France. Il occupe, avec plus de 2 000 sans-papiers, le local de la CPAM, rue Baudelique à Paris depuis le 17 juillet 2009.
« J’ai exercé plusieurs métiers au Mali, dont instituteur et entraîneur de foot. Ma situation s’étant dégradée, j’ai décidé de tenter ma chance en France. Mais, ici, je n’ai eu droit qu’à des boulots pénibles qui ne correspondaient pas à mes aspirations. Actuellement, je travaille dans le secteur de la restauration pour un patron qui se doute certainement de ma situation. C’est ce qui m’a déterminé à rejoindre la lutte au sein d’un collectif de sans-papiers. À la fin de ma journée, je suis des cours pour passer mon brevet, puis, j’espère, mon bac. Je rentre ensuite au ministère de la Régularisation de tous les sans-papiers. C’est une lutte dure, qui se prolonge, il faut faire des efforts pour tenir le coup. La présence des soutiens est très importante. Je suis solidaire des travailleurs en grève. Nous avons un même but, et je pense que toutes les façons de se battre doivent se rejoindre si nous voulons voir une issue favorable au mouvement. »
Développer des comités de soutien: l’exemple du 19eà Paris
La nouvelle vague de grèves- occupations a provoqué une mobilisation très forte autour des sites en grève du 19earrondissement : la TFN, société de nettoyage et la Suburbaine, qui réalise les travaux du tramway. Les militants des organisations politiques (NPA, Alternative libertaire, Parti de gauche), syndicales (CGT, Solidaires, CNT), associatives (MRAP, LDH) et locales (Quartier solidaire Belleville), investis dans la lutte pour la régularisation de tous les sans-papiers, se sont regroupés au sein d’un collectif unitaire de soutien. Diffusion de tracts, collage d’affiches, collectes, pétition, lettre aux élus, tous les moyens sont mis en œuvre pour sensibiliser la population du quartier et répondre aux besoins matériels des grévistes.
« C'est par la construction d'un cadre unitaire que nous pourrons amplifier et coordonner la mobilisation, déclare François Charpentier du NPA. Nous regrettons l'absence, sur le terrain, d'autres forces politiques, mais nous tendons vers l'élargissement du collectif, en invitant régulièrement les organisations encore hésitantes à venir nous rejoindre. Nous projetons des initiatives plus importantes en novembre. Les relations avec les grévistes sont très chaleureuses et les soirées se passent souvent autour d'un thé à l'africaine.»
Marie-Au’, d’Alternative libertaire, trouve efficace de s’intégrer dans un réseau de solidarité pré-existant. « Malgré la faible couverture médiatique, les gens du quartier viennent discuter, s'informer ; cela crée du lien et de la visibilité. C'est une lutte très dure : il faut maintenir un comité de soutien large et unitaire. »