Enseignant-chercheur à l’Université de Nancy 2, Vincent Goulet bouscule opportunément certaines visions manichéennes des médias en vogue dans les milieux critiques comme dans les couches moyennes du salariat : une vision misérabiliste et méprisante de publics populaires supposés complètement « aliénés » et « abrutis » par « la propagande dominante ». Pour Goulet, s’adossant largement à la sociologie critique de Pierre Bourdieu, on ne peut se contenter d’envisager le contenu des messages médiatiques sans prendre en compte la variété des filtres du côté de leurs récepteurs, dotés d’expériences sociales spécifiques (de classe, de genre, etc.).Pour ce faire, il se nourrit principalement d’une enquête menée entre 2005 et 2008 dans un quartier HLM de la banlieue bordelaise dans lequel il a vécu. Une originalité de cette démarche parmi les études de réception, qui ont beaucoup exploré les séries télévisées, consiste à prendre pour objet les informations et leurs usages populaires dans la vie quotidienne. Ce qui le conduit à mettre en cause, preuves empiriques à l’appui, « le présupposé selon lequel les médias ont une plus grande influence sur les personnes les moins pourvues culturellement ». Loin de nier l’existence de rapports de classe sur le plan culturel, il rompt toutefois avec les caricatures élitistes des milieux populaires, en notant les ambivalences des réalités observables pratiquement : tout à la fois « un sentiment de dépossession culturelle » et « une certaine dose d’inventivité, de fantaisie ».Ses observations débouchent sur des pistes quant à de possibles médias « populaires et engagés » : « prendre plus au sérieux les faits divers, le sport, les potins pour ce qu’ils recèlent d’une forme de conscience politique pour les articuler de façon plus souple avec les discours programmatiques et le jeu politique ». Stimulant !Philippe CorcuffINA Éditions, 340 pages, 20 euros