Publié le Lundi 11 avril 2011 à 08h27.

Sans-papiers. Les 68 de Creil

En grève depuis le 12 octobre 2009, 68 travailleurs sans papiers sont repliés dans la Bourse du travail de Creil (Oise) depuis un an et demi. À ce jour, certains d'entre eux ont été régularisés, d'autres ont reçu des obligations de quitter le territoire français (OQTF) ou sont en attente de renouvellement. Diallo et Touré, deux des porte-parole, nos expliquent leur lutte au quotidien et leurs volonté d'obtenir la régularisation de tous.

Où en est votre lutte aujourd'hui ?

Touré : Nous avons commencé notre combat en octobre 2009. Nous sommes venus de Paris à Creil pour occuper des agences intérim, puis nous sommes venus à la Bourse du travail. Depuis un an et demi, on est là. On a passé beaucoup de temps sans que les dossiers aboutissent. On croyait que nos dossiers avanceraient mais ils reculent. Certains ont obtenu des récépissés sacko de trois mois1 renouvelables, mais la préfecture ne les a pas tous renouvelés.

Diallo : Aujourd'hui on arrive au bout des trois mois pour les autorisations de travail. Je ne sais pas pourquoi la préfecture refuse toujours de les renouveler parce qu'on a fourni des fiches de paye, des contrats de mission. Elle nous demande des contrats de travail de douze mois mais, avec une autorisation de trois mois, les patrons signent un contrat de trois mois, pas un jour de plus. Face à la préfecture, ils ont peur de s'engager avec des travailleurs sans papiers. Ils pensent qu'en signant les documents, ils peuvent se retrouver devant un tribunal. S'ils s'engagent, les travailleurs peuvent prouver que, depuis qu'ils ont les récépissés, ils sont au boulot, donc le préfet pourrait donner des cartes de séjour d’un an, mais on les attend toujours, ainsi que notre visite médicale.

Quelles actions prévoyez-vous pour que la situation avance ?

Touré : C'est en cours. On attend la CGT et les élus qui nous ont aidés au dépôt des dossiers pour organiser une action parce que, seuls, on ne peut pas le faire. Nous ne sommes plus aussi nombreux qu'avant. On était 68 mais maintenant il y a 30 personnes qui travaillent. Les personnes qui restent n'ont pas le rapport de forces nécessaire pour faire bouger la préfecture. On doit donc s'entendre avec les élus, le comité de soutien et la CGT pour faire en sorte que l'État et la préfecture cèdent.

Il y a eu des négociations mais pas encore de débouchés ni de renouvellement. La préfecture veut nous diviser : une partie d'entre nous travaille, l'autre pas. Si on veut aller à une manif, si certains travaillent, on ne peut envoyer que deux ou trois personnes. Donc tous les samedis matins, on se rassemble à la gare de Creil pour sensibiliser la population.

Diallo : Depuis le début de la grève, on a occupé 57 agences d'intérim. Je fais partie du groupe qui a organisé ces occupations, décidées le 11 octobre 2009 à Montreuil. Maintenant il n'y a plus d'occupation d'agence, nos actions sont menées vers la préfecture. En fonction de ce qui ressortira des négociations avec le préfet, on prévoit une action à la préfecture de Beauvais le 7 avril à 10 heures.

Le comité de soutien s'est créé dès l'occupation2. Comment ça se passe ?

Touré : Depuis que ce comité s'est créé, ça se passe très bien. Ce sont des gens en or. Depuis qu'ils sont avec nous, ils n'ont pas changé une seconde. Tu les appelles à n'importe quelle heure, ils te répondent. Je remercie ce comité pour cet effort quotidien, mais il faut faire davantage pour aider nos collègues à sortir de ce bourbier.

Pendant quelques temps vous avez été mis à l'écart du mouvement des 6 000, mais désormais vous êtes de nouveau avec la CGT. Est-ce que vous êtes toujours en lien avec la lutte nationale ?

Touré : La CGT de l'Oise nous avait mis un peu à l'écart mais, même à ce moment-là, on était toujours en contact avec le mouvement national. J'étais devant la Bastille dès le premier jour de son occupation, nos délégués ont participé à toutes les réunions de la CGT. Depuis qu'on a renoué avec la CGT de l'Oise, il y a eu des avancées. Mais il reste encore beaucoup à faire car douze ou treize personnes n'ont pas encore de papiers, une quinzaine ont eu des sacko que la préfecture refuse de renouveler.

Vous vivez dans la Bourse du travail jour et nuit depuis un an et demi. Comment se passe la vie au quotidien ?

Touré : Depuis qu'on a commencé jusqu'à aujourd'hui, ça se passe très bien. Parfois il y a des malentendus, comme partout quand on habite ensemble, mais on laisse ça de côté car le plus important, c'est de retrouver du travail. Tous ceux qui ont eu des sacko ont trouvé du travail, on a des fiches de paye. Nous sommes des travailleurs, pas des délinquants. On est venus en France pour travailler, aider nos femmes et nos enfants. J'ai une femme et trois enfants au pays, ils vivent uniquement de mon travail ici. Si je ne travaillais pas, peut-être qu'ils pourraient de faim.

Diallo : Le combat n'est pas gagné, c'est très compliqué. Cela fait dix ans, quinze ans que nous travaillons ici. On cotise à toutes les caisses, on paye des impôts. Sans régularisation, on n'a plus de logement, plus de boulot, plus rien. Pour acheter une baguette aujourd'hui, on dépend des soutiens. Sans papiers, on ne peut pas se présenter devant les caisses. Si on ne trouve pas de solution, certains sont prêts à se suicider. Ils se sont engagés, ont mis leur vie en danger depuis le 12 octobre 2009. Grâce au comité de soutien, les syndicats, le Secours populaire, le Secours catholique, Emmaüs, on arrive à avancer. Mais au début du combat, on ne pensait pas que ça se passerait comme ça, sinon on se serait mobilisés autrement. Mais on ne peut plus reculer, nos vies sont en danger.

Le préfet a dit dans la presse traiter nos dossiers avec «humanité et rigueur». On a entendu les discours, maintenant on veut du concret. Ceux dont les dossiers n'ont pas été renouvelés n'ont pas le moral du tout. On demande au préfet de respecter notre dignité, on est des personnes comme tout le monde.

Propos recueillis par Gilles Pagaille.

1. Récépissés de demande de titre de séjour délivrés par la préfecture pour une durée de trois mois permettant une recherche de travail.

2. Le comité de soutien apporte une aide financière, administrative, logistique, alimentaire et morale. Il a été rebaptisé Comité Ousmane Ba en 2010, en hommage à l'un des grévistes disparu.