Nous le surnommions « El Pelado ». Il s’appelait Mario Raul Klachko. Fils de juifs ukrainiens émigrés en Argentine, né en 1945, El Pelado appartient à cette génération de révolutionnaires latino-américains qui s’est engagée corps et âme dans les années 1960 pour l’avènement d’un monde meilleur, égalitaire et plus humain.
Combat contre la dictature militaire
Enthousiasmé par la révolution cubaine et les appels internationalistes de Che Guevara, viscéralement réfractaire au stalinisme, il rejoint les rangs du PRT-el Combatiente (Parti révolutionnaire des travailleurs-le Combattant) et de l’ERP-Armée révolutionnaire du peuple, avec le révolutionnaire et guérillero argentin Mario Roberto Santucho. Lorsque le PRT s’engage sur une voie verticaliste et exclut les trotskistes membres de la IVe Internationale, Pelado forme avec ces derniers la fraction rouge du PRT-ERP, dont il est un des dirigeants.
El Pelado combat la dictature militaire argentine. Il participe activement à la résistance politique et prend les armes, multipliant les coups d’éclat contre le régime : organisation et protection armée des grèves, « expropriations » de banques, attaques de prisons, enlèvements de grands patrons. Devenu homme à abattre et ennemi public numéro un dans son pays, Mario doit s’exiler à Paris où l’accueillent ses camarades de la Ligue communiste. Sans jamais renoncer à la perspective révolutionnaire, il revisite alors de manière critique cette épopée de lutte armée. Il poursuit ce bilan stratégique et ses remises en cause durant les années 1980, après un bref retour en Argentine, en dialoguant avec Nahuel Moreno et Hugo Blanco, révolutionnaires marxistes argentin et péruvien.
Une part de notre histoire
En France, El Pelado renoue avec sa formation d’architecte en devenant urbaniste. Il suit de près l’actualité sociale et politique et participe régulièrement aux activités militantes et politiques de la Ligue communiste. Il aide notamment ses camarades à comprendre le soulèvement révolutionnaire de 2001-2002 qui embrase l’Argentine. Dès qu’il le peut, il participe aux mobilisations sociales et politiques, comme celle de « Nuit debout » en 2016, dans sa commune de Pantin.
Ses problèmes de santé se multipliant, les échanges se raréfient. El Pelado reste et restera une référence : celle d’un militant révolutionnaire qui a combattu et risqué sa vie pour ses convictions, dans l’Argentine des années 1970, sans jamais sombrer dans l’aveuglement et les impasses sectaires. Dans une interview accordée à Pagina 12, un magazine argentin, le 12 mars 2018, au cours de laquelle le journaliste lui demande de se définir, il répond : « Historiquement trotskiste ».
Avec lui, c’est une part de notre histoire qui s’en va aussi. Nous pensons aux siens, à sa famille, à ses amis. À ses camarades aussi, les Argentins, les Basques et à ceux du monde entier. Et nous sommes fiers de compter parmi ceux-là.
Publié sur le blog Mediapart d'Olivier Besancenot.