Inspirée du New Deal de 1933 aux États-Unis, d’emblée productiviste au motif d’assurer la sécurité alimentaire de l’Europe, la PAC (politique agricole commune), mise en place en 1962 par les six États membres d’alors, comprend un puissant volet de régulation publique : prix minimas garantis, stocks constitués afin de réguler les marchés, quotas de production pour le sucre et le lait, suppression des droits de douane entre les six pays membres, droits de douane à l’import, aides à l’exportation. Le secteur agricole est alors un de ceux qui connaissent les plus forts gains de productivité en France. Valéry Giscard d’Estaing l’affirmait en 1977, « l’agriculture est le pétrole vert de la France ».
80 % des aides mobiliséEs par 20 % des agriculteurEs
Le tournant libéral concrétisé par le traité de Maastricht en 1992 met à bas ce système d’intervention publique. La « concurrence libre et non faussée » provoque effondrement des cours, crises de surproduction pour les producteurs français et crise alimentaire pour les pays du sud.
Les quotas laitiers en 2015, puis sucriers en 2017, sont entièrement supprimés : chaque producteur doit négocier les prix avec les laiteries et les transformateurs. Dans le même temps, en vingt ans, la marge des entreprises agroalimentaires progresse de 64 %, celle des distributeurs de 188 %.
Les aides directes, attribuées en fonction de la taille des fermes ou du nombre de bêtes, renforcent les inégalités et l’agriculture intensive. Si, pour un grand nombre de paysanNEs, les aides de la PAC permettent de garder la tête hors de l’eau, 80 % de ces aides sont mobilisées par 20 % des agriculteurs. Du fait de la non-conditionnalité des aides, les gros utilisateurs de pesticides en sont aussi les plus grands bénéficiaires (le géant de l’agroalimentaire Euricom, qui possède la plus grande ferme productrice de riz de Camargue, empoche en un an 680 000 euros).
Le prix du foncier est inaccessible, les plus gros rachetant les terres des plus petits. Du million de fermes de 1988, il n’en reste aujourd’hui que 400 000. Les exploitantEs agricoles ne représentent plus que 1,5 % de la population active.
La PAC au service du modèle productiviste
La France est le pays européen qui reçoit le plus de subventions de la PAC (9,5 milliards d’euros en 2022), suivie par l’Espagne et l’Allemagne, au profit du modèle productiviste lié à l’agrobusiness défendu par la FNSEA, et aux dépens des véritables besoins tels que l’installation des jeunes agriculteurs, le bien-être animal, le soutien aux productions bio ou aux petites fermes1…
Dotée d’un budget de 387 milliards d’euros (près d’un tiers du budget pluriannuel de l’Union européenne), dont 270 milliards d’aides directes aux agriculteurs, la nouvelle PAC 2023-2027, incluant quelques saupoudrages d’agriculture « durable », n’a pas fondamentalement changé ces règles du jeu néolibérales et mortifères.
D’après Romaric Godin2, « la crise agricole est une sorte d’avant-garde de la crise capitaliste actuelle ». Du fait de la concurrence et de la stabilité de la demande mondiale, les gains de productivité stagnent depuis les années 2000. « Sur le plan économique, la situation de l’agriculture française illustre bien les limites de la fuite en avant productiviste sur le capital lui-même. En s’industrialisant massivement, le secteur agricole a acquis un stock de capital considérable qu’il faut entretenir. Plus on gagne en productivité, plus on a donc besoin de faire des bénéfices pour pouvoir maintenir le rendement de l’activité en dépit de ce capital fixe. Il faut donc encore plus mécaniser, ce qui aggrave le problème ».
D’où la pression sur les salaires et les revenus, ceux des salariéEs agricoles bien sûr, notamment des saisonniers, souvent des étrangerEs en situation irrégulière, mais aussi sur les revenus des « exploitants » eux-mêmes.
Sa conclusion est lucide : « L’incapacité du secteur et des pouvoirs publics à proposer une autre organisation où le profit ne soit plus central, mais où la priorité soit donnée aux besoins de nourrir le pays, ne semble donc pas présager la fin de cette crise structurelle. »