On ne peut pas dire que les syndicats et les organisations traditionnelles du mouvement ouvrier aient toujours été historiquement à la pointe du mouvement de libération des femmes… Ils s’y sont même parfois violemment opposés. Retour sur les récentes évolutions.
Dans les années 1990-2000, syndicats et organisations traditionnelles du mouvement ouvrier ont été partie prenante du Collectif national pour les droits des femmes ou à l’initiative de rencontres intersyndicales femmes dans un contexte de luttes pour l’égalité assez institutionnalisées.
Pression de la nouvelle génération
La nouvelle dynamique féministe qui est à l’œuvre depuis quelques années se place nettement sur un autre terrain et s’est construite indépendamment des cadres préexistants. Cette nouvelle génération se positionne beaucoup plus clairement en opposition aux institutions (notamment la police et la justice) et fait preuve, vis-à-vis des organisations syndicales et politiques, au mieux d’indifférence, au pire de défiance…
Pour le 25 novembre 2018, « Nous toutes » a joué un rôle fédérateur de ces deux composantes, mais dans un cadre assez flou, opaque en termes démocratiques. Si le Covid a accéléré la décomposition de cette structure, elle apparaissait prévisible du fait de son incapacité à contrecarrer les forces centrifuges des différents groupes et individus la composant.
Avec la nouvelle dynamique de mobilisation, des enjeux se sont fait jour en termes de direction du mouvement féministe. Dès lors, la confrontation entre les cadres traditionnels et les « groupes/collectifs/assemblées générales » auto-organisées était inéluctable. Il s’agit bien d’une bataille pour la direction du mouvement. Sans surprise, le « vieux » mouvement ouvrier refuse de laisser la main et de se positionner en soutien à l’auto-organisation des femmes. Au lieu de participer aux collectifs/assemblées générales, d’y défendre leurs positions et d’y proposer leurs moyens matériels, les organisations, notamment syndicales, préfèrent se réfugier en terrain connu et convoquer des intersyndicales ou des inter-organisations. Ces problèmes se sont posés dans différentes villes, à des niveaux plus ou moins conflictuels en fonction de l’histoire locale, du travail unitaire et de la présence de militantEs attachéEs à la construction d’un mouvement féministe autonome.
Tenir les deux bouts
Malgré ces confrontations, ou plutôt grâce à elles, la nouvelle dynamique du mouvement féministe a poussé les organisations à se réapproprier les questions féministes et à se réinvestir sur ce terrain, notamment contre les violences sexistes et sexuelles. Cette pression s’est exercée à la fois de l’extérieur avec la structuration d’un mouvement auto-organisé et à la fois à l’intérieur via des militantEs de ces organisations convaincuEs de la nécessité de ce mouvement. Des campagnes ont été mises en œuvre notamment sur les lieux de travail, des commissions femmes se sont (re)montées, etc.
Nous devons tenir les deux bouts, bien que ce ne soit pas toujours facile ! Les structures pérennes sont des outils indispensables de structuration de nos luttes afin d’accumuler des expériences et leur manque se fait cruellement sentir aujourd’hui sur nombre de sujets. Le mouvement féministe actuel doit s’approprier son histoire et notamment celle de sa confrontation au mouvement ouvrier. L’auto-organisation des oppriméEs, en l’occurrence des femmes et de toutes celles et ceux qui subissent la domination patriarcale, est une nécessité pour imposer nos revendications et enclencher un processus de transformation de la société. Son ancrage dans la lutte des classes est une condition nécessaire pour y arriver – d’où l’enjeu de construire la grève du 8 mars. L’unification de notre camp social et la prise en compte de toutes les oppressions ne pourront se faire sans cela. Le dépassement des contradictions actuelles ne pourra être porté que par un courant féministe lutte de classes dont la reconstruction ne fait que commencer...