« Une seule solution… » oui mais laquelle ? « Le programme commun » pour les unEs ; « c’est l’autogestion » ou encore « la révolution » pour les autres. Tourné le jour même, le film de la vidéaste Carole Roussopoulos s’ouvre sur ces trois slogans (et cortèges) successifs de la marche.
Leur « solution » diffère à chaque fois1. C’est qu’à gauche et à l’extrême gauche, le débat stratégique bat alors son plein.
Union de la gauche ou auto-organisation ?
Le Programme commun d’Union de la gauche, signé l’année précédente par le PCF et le PS se veut le « débouché politique » naturel, par en haut et électoral en premier lieu, des luttes de la période, incandescentes depuis Mai 68. Il présuppose un appareil d’État « neutre » dans les habits duquel il s’agirait de se glisser. Les législatives d’avril 1973 ont d’ailleurs vu une poussée de la gauche (et notamment du PS). Dans ce contexte, il faut encore et toujours rassurer « l’opinion publique » et éviter d’apparaître comme les agents du « désordre ». Ni Georges Marchais pour le PCF ni François Mitterrand pour le PS ne feront ainsi le déplacement à Besançon le 29 septembre. Rouge peut ironiser : « L’Union de la gauche n’a sans doute pas le goût des intempéries »2.
Mais cette absence interroge bien au-delà. Car la marche intervient quelques jours seulement après le coup d’État du 11 septembre 1973 au Chili qui vient de mettre un terme brutal et sanglant aux mille jours de l’Unité populaire3. Aussi sincère soit-elle, l’option légaliste de la voie chilienne au socialisme s’est dramatiquement heurtée au fascisme. Le 29 septembre, dans le cortège de l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA), on scande : « Légalité, peuple enchaîné/vive le peuple en armes ». Où situer le centre de gravité des politiques d’émancipation ? dans l’auto-organisation (y compris l’autodéfense) des classes populaires ou dans les institutions ?
L’audace des Lip
Les aspirations à des dynamiques plus horizontales — appuyées sur des pratiques autogestionnaires, et plus radicales — inscrites dans un processus révolutionnaire, ont dans ces années-là bien des partisanEs. Qui voient précisément en Lip 73 une forme de continuité parmi les plus légitimes de Mai 68. Car la grève des ouvrières et des ouvriers de Lip a rebattu les cartes par son audace, par sa remise en cause de l’ordre et de la légalité capitaliste. Aussi parce qu’elle a pour actrices et acteurs une base militante forgée dans l’action et qui ne se résume ni ne se limite aux membres de l’extrême gauche organisée.
Renforcer, élargir « l’espace Lip » — pour parler comme le Comité d’action — peut alors apparaître comme une étape dans la construction du pouvoir populaire à venir. Partir du réel des luttes pour trouver les coordonnées d’une politique révolutionnaire : finalement le chemin reste toujours à tracer.