Il est généralement admis que la « grande guerre » permit à l’émancipation des femmes de faire un grand pas en avant notamment au travers de l’accès aux emplois occupés majoritairement par les hommes avant guerre.
Mobilisées dans le travail
Le « déficit » de main-d’œuvre masculine lié à la mobilisation était de 8 millions. Pourtant, lors du recensement de 1921, les femmes n’étaient pas plus nombreuses à travailler qu’avant 1914 où elles représentaient un peu plus du tiers (7,2 millions) de la population active. La féminisation relative des emplois dans l’industrie avec, notamment, les « munitionnettes » des usines de guerre, aura essentiellement permis d’accompagner le développement de la taylorisation et de la fordisation de la production pendant que se développe l’emploi dans le « tertiaire ». Dans les campagnes, 3 200 000 ouvrières agricoles ou femmes d’exploitants prennent la tête des exploitations, aidées par les seuls hommes restés à la terre : les jeunes, les vieux et les plus faibles ; auxquels sont venus s’ajouter quelques milliers de prisonniers et ouvriers agricoles étrangers. Ainsi 630 000 veuves sont devenues chefs de famille, tandis que le déséquilibre entre les sexes (1 103 femmes pour 1 000 hommes) amenait nombre de femmes célibataires à assumer le rôle traditionnellement dévolu aux hommes.
La double tâche
Ce qui n’empêche que les appréciations portées sur cette évolution resteront toujours profondément ambigües : « Recruter pour l’industrie les mères possibles, c’est se priver des apprentis dans treize ans et augmenter pour l’avenir l’invasion des métiers par les ouvriers étrangers. La femme ne peut suffire à la double charge d’être ouvrière active et mère féconde. Elle se stérilise ou avorte. »[fn]Pierre Hamp dans l’Humanité en 1916, cité par Xavier Vigna, l’Espoir et l’effroi, éditions La Découverte, 2016. Même l’emblématique figure de l’infirmière, si valorisée au cœur du conflit, ne bénéficiera pas de cette popularité dans la durée. Le refus de l’État de rendre obligatoire un diplôme pour son exercice encouragera l’emploi de femmes non diplômées, rétribuées à minima. Le retour de l’obsession de la « dépopulation » va entraîner l’évolution de la profession vers une « hygiène sociale » proche de la charité, valorisant leur capacité à assurer une mission belle et ingrate à laquelle les prédisposerait leur instinct maternel.
Dès l’approche de la fin du conflit, le discours louangeur fit place au thème de la femme profiteuse, invitée à rendre la place au soldat et à l’ouvrier, à retourner au foyer ou aux métiers traditionnellement féminins (travaux domestiques, couture).
De même, si la guerre a débuté par une « union sacrée » des sexes, le développement du mouvement des marraines initié par les organisations charitables est rapidement suspecté, soupçonné de masquer des amours, des relations sexuelles, de la prostitution voire même de l’espionnage. Dans le même temps la prostitution, faute de pouvoir être empêchée, va être organisée avec l’officialisation en mars 1918 de bordels militaires à l’« avant ».
Retour à la normale
Plus brutale que la démobilisation militaire, la démobilisation des femmes marque la volonté d’un retour à la situation antérieure même si cela est impossible avec 1,4 million de soldats morts, soit plus de 10 % de la population active masculine de 1914, sans compter les blessés et les mutilés.
L’image de « la garçonne » popularisée par le roman éponyme, qui valut à Victor Marguerite d’être radié de la Légion d’honneur, ne vaudra qu’à la marge d’une société avant tout traumatisée par les horreurs de la guerre. Les catalogues de jouets des grands magasins parisiens proposent pour les étrennes des garçons des panoplies de soldats, pour les petites filles, celle d’infirmière. Les tentatives d’émancipation des femmes au travers de la guerre resteront finalement limitées aux femmes des milieux intellectuels, de la petite et grande bourgeoisie « éclairée », qui bénéficieront notamment d’un accès aux études supérieures et aux métiers qualifiés. Même si la vie publique devient plus accessible aux femmes, le droit de vote leur sera refusé alors que 138 millions des femmes ont le droit de vote dans 24 pays. Les lois du 31 juillet 1920 et du 27 mars 1923, réprimant toute information sur la contraception et «correctionnalisant » l’avortement, illustrent la préférence pour l’urgence démographique. La République préférant même tenter d’assimiler les « petits vipéraux », « enfants de boches », que d’autoriser l’avortement.
Robert Pelletier